Au cœur de l’ultime saison de Michel Franck voulue comme le bouquet final de quatorze années de mandature, s’imposait sans conteste la reprise de Dialogues des Carmélites selon Olivier Py, déjà donné au Théâtre des Champs-Elysées en 2013 puis en 2018 avec chaque fois le même succès. Une distribution renouvelée – ou presque –, une mise en scène moins sentencieuse, épurée mais toujours animée d’un mouvement à rebours de l’austérité de l’œuvre, conservent au spectacle un impact émotionnel que l’absence d’effet de surprise aurait pu émousser. C’est de nouveau la gorge serrée que l’on assiste à l’agonie de la première Prieure comme vue du ciel, à l’affrontement puccinien du frère et la sœur sous le chaperonnage impitoyable de Mère Marie, à une scène finale traitée à la manière des personnages de Folon qui ne peut laisser l’œil sec.
La direction musicale de Karina Canellakis n’est pas étrangère à cette impression de redécouverte. Tout en veillant à l’équilibre fusionnel entre voix et orchestre, la cheffe sait doter les instruments de parole dans une œuvre où le verbe se fait musique. Les impératifs dramatiques n’en sont pas moins respectés. Ainsi ces tempi à vive allure, ces enchainements sans répit d’un tableau à l’autre qui maintiennent serrée la vis théâtrale avec pour corollaire des silences recueillis, des percussions péremptoires, des teintes sonores qui ne troublent jamais la clarté essentielle à la partition de Poulenc.
© Vincent Pontet
Au-delà de fortes individualités, Dialogues des Carmélites repose sur la complémentarité vocale. C’est là le talon d’Achille de cette reprise où certaines voix apparaissent insuffisamment différenciées. Vannina Santoni entre en Blanche comme une carmélite en religion. Sa certitude peut sembler parfois antinomique avec la peur supposée habiter la jeune fille. Mais comment ne pas souscrire à cette proposition moins effrayée que tourmentée, lorsqu’elle est ainsi assumée jusqu’en ses aigus les plus extrêmes dans un français irréprochable, d’un soprano lyrique dont la pureté n’est pas légèreté. A cette Blanche angoissée, il faudrait une Constance moins incarnée, plus innocente et plus intelligible que Manon Lamaison, qui semble déjà pouvoir prétendre à la catégorie supérieure.
Patricia Petibon offre à Mère Marie une voix privé de l’ombre nécessaire pour marquer son opposition à la seconde Prieure. Reste une composition iconoclaste, car déséquilibrée et exaltée, à laquelle il est difficile d’adhérer si l’on s’en tient au livret dans lequel l’inflexible religieuse est présentée comme le solide pilier capable d’endiguer la peur de Blanche. On aurait attendu de Véronique Gens plus de fluidité dans le texte mais sa Lidoine conserve inaltérée la sérénité maternelle qu’assure un soprano d’une homogénéité irréprochable, sans duretés, ni rupture de registre. Sophie Koch réussit le passage de Mère Marie à Madame de Croissy, non d’une de ces voix en bout de course auxquelles on confie parfois le rôle, mais animée d’une santé qui rend encore plus saisissante sa Première Prieure, usant dans une juste mesure d’effets de poitrine et de traits cinglants comme levier de caractérisation.
Côté masculin, Alexandre Duhamel accapare le premier tableau de son baryton héroïque. L’écriture du Marquis n’est pas exempte de pièges ; la noblesse du phrasé modelé par la pratique répétée de Golaud vient au renfort d’un aigu moins vaillant qu’à l’habitude. Sahy Ratia campe un Chevalier de La Force élégant à l’articulation exemplaire et la ligne châtiée, sachant dénouer son jabot de dentelle pour étreindre le duo avec Blanche. Se détachent aussi Matthieu Lécroart, aussi pertinent en Geôlier qu’en Thierry, et l’Aumonier lumineux de Loïc Félix, acclamé au moment des saluts à l’égal de tous les artistes de cette reprise.