Le temps aura passé si vite.
Bien sûr ce ne sont que quarante minutes qui s’égrènent sous nos yeux, quarante minutes d’une sorcellerie diabolique, de celle qui capture son auditeur, mais qu’elles auront filé, ces minutes. Avec La Voix humaine, Francis Poulenc déploie sous nos yeux une partition qui vous agrippe, à peine le premier « Allo ? » franchi, nous tient en haleine et nous lâche quelques instants plus tard – on n’imagine pas que presque trois quarts d’heure se sont écoulés.
Poulenc a laissé plusieurs versions de cette « tragédie lyrique » (quels mots bien choisis) et le Théâtre du Capitole de Toulouse a choisi la version avec accompagnement de piano. Qu’on ne pense pas qu’il s’agisse d’une réduction ; c’est de fait une version autre que celle, plus couramment donnée, avec orchestre. Une version que Poulenc a composé avec tout autant de soin. Certaines productions sont allées loin dans la scénarisation, adjoignant une véritable mise en scène, comme on a pu le voir à Strasbourg, où Katie Mitchell s’était emparée avec bonheur de l’œuvre.
A Toulouse, on sera dans la sobriété, presque le dépouillement. Le piano de Christophe Manien tout d’abord. Le toucher délicat, l’attention portée aux mots, à sa respiration à « elle », cette capacité à oser les silences, les rallonger, les prolonger – on voudrait qu’ils durent encore – pour les rompre d’un simple coup d’œil complice. La richesse de la palette orchestrale y est toute entière – on n’a pas besoin du tutti car le piano dit tout. Poulenc à la fois mélodiste et homme de scène. Prestation de haut vol du chef de chant de La Monnaie, à la hauteur de sa partenaire.
Véronique Gens apparaît à jardin, alors que le piano a déjà commencé à discourir, elle se précipite vers son téléphone (son pupitre) ; les mains se joignent, se séparent, vite, elle ne sait que faire de ces mains aux doigts interminables. Tout au long de la soirée les mains diront tout ce que la voix n’ose prononcer. L’esprit angoissé, l’âme torturée, la raison qui échappe – mais aussi les bras qui voudraient enlacer le cou de l’être aimé, ou qui annoncent le fil du téléphone qu’on va serrer autour de son propre cou pour en finir. Il n’y a pas besoin de mise en scène pour cela, ni de décors. Car Véronique Gens nous dit tout cela. Lorsqu’elle apparaît dans son fuseau grenat, c’est l’amante élégante qui se fait belle pour son chéri ; c’est la noblesse des sentiments, leur retenue dans l’expression qui sont dites par la fierté de la posture, cette tête haute mais qui finit par ployer sous le chagrin. Il est infini ce chagrin et il finit par l’emporter.
Véronique Gens avait déjà marqué le rôle dans son enregistrement (avec orchestre) de 2023 ; on pensait qu’elle avait tout dit d’« elle ». La preuve que non. Dans l’intimité d’une salle suspendue à ses lèvres avec le seul piano pour partenaire, Véronique Gens déploie une myriade de couleurs, d’harmoniques, du plus grave au contre-ut crié sur « folle ». Tout est noble dans le personnage – jusque dans le désespoir qui la propulse dans les enfers. Le parler-chanter est parfaitement compréhensible ; la voix sait aussi se réchauffer dans le lyrisme associé aux rêves, aux espoirs et aux souvenirs heureux, et puis se tendre dans le désespoir abyssal où elle transporte l’auditeur.
Et quand enfin, à court d’arguments, il ne reste plus qu’à dire et répéter les « Je t’aime » désespérés, elle se tourne une ultime fois vers le piano, comme si c’était lui son amant, et s’abandonne.
Merci Madame !
POULENC, La voix humaine – Toulouse
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Spectacle
27 février 2025
Véronique Gens en majesté
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Note ForumOpera.com
5
Infos sur l’œuvre
Tragédie lyrique en un acte d’après « La Voix humaine » de Jean Cocteau (1930)
Création le 6 février 1959 à Paris (Salle Favart)
Détails
Soprano
Véronique Gens
Piano
Christophe Manien
Toulouse, Théâtre du Capitole
Mercredi 26 février 2025, 20h
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Tragédie lyrique en un acte d’après « La Voix humaine » de Jean Cocteau (1930)
Création le 6 février 1959 à Paris (Salle Favart)
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Véronique Gens
Piano
Christophe Manien
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