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POULENC, Les Carmélites de Compiègne – Paris (Fondation Eugène Napoléon)

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Spectacle
10 décembre 2024
Dans l’intimité du Carmel

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Version réduite des Dialogues des Carmélites de Poulenc
Drame lyrique en trois actes, livret du compositeur sur un support original de Gertrud von Le Fort et de Georges Bernanos
Création en italien le 26 janvier 1957 à la Scala de Milan
Version française créée le 21 juin 1957 à l’Opéra de Paris
Adaptation de Yoan Héreau

Production Sacré Prod, créée le 13 août 2021 à la Cathédrale Sainte-Cécile d’Albi

Détails

Mise en scène
Mirabelle Ordinaire
Scénographie et lumière
Paul de Larminat

Sœur Blanche
Raquel Camarinha
Madame de Croissy
Blandine Folio-Peres
Mère Marie de l’Incarnation
Anne-Lise Polchlopek
Sœur Constance
Laurence Pouderoux
Madame Lidoine
Axelle Fanyo
L’Aumônier du Carmel
Igor Bouin
Mère Jeanne
Aliénor de Vallée
Sœur Mathilde
Victoire Loriau de Larminat
Révolutionnaire
Antoine Bugaud
M. Javelinot / Révolutionnaire
Romain Triouleyre
Carmélites
Calixte Bailliard, Alice Couberc, Sophie Normand

Direction musicale, piano
Yoan Héreau

Paris, Chapelle de la Fondation Eugène Napoléon, vendredi 6 décembre 2024, 20h

Dialogues des Carmélites n’est pas un opéra rare, mais c’est un vrai luxe pour les mélomanes parisiens d’avoir pu choisir entre deux versions de l’œuvre en ce même début décembre. En effet, à côté du très médiatisé spectacle du TCE se cachaient jusqu’au 6 décembre ces Carmélites de Compiègne, mouture réduite pour piano et solistes, dans le cadre idéal de la chapelle de la Fondation Eugène Napoléon. Il s’agit de la reprise d’une production créée en 2021 dans la bien plus vaste cathédrale Sainte-Cécile d’Albi par le collectif SacréProd. Cette association, qui s’articule autour de la représentation d’œuvres sacrées dans des lieux sacrés, y donnait alors son premier opéra. L’occasion de prouver une fois de plus que des moyens réduits ne signifient pas une prestation moindre, bien au contraire. En plus des talents individuels, tous remarquables et pour certains déjà bien remarqués, l’esprit de collectif donne au tout une cohérence et une force émotionnelle.

Il faut en premier lieu féliciter Yoan Héreau, maître d’œuvre musical de la soirée. Pianiste, chef de chant, il est également responsable de l’adaptation présentée. Pas de Marquis ni de Chevalier dans cette version, l’opéra commence donc avec le deuxième tableau du 1er acte, tandis que le deuxième interlude et le troisième tableau du 2e acte sont également coupés. A l’exception de l’aumônier, les rôles secondaires masculins sont transformés en rôles parlés, et leurs répliques raccourcies. Sans jamais perturber la lisibilité du récit, ce choix permet de mettre en avant le huis clos de la communauté, et de redoubler ainsi la violence des intrusions de l’extérieur. Le fait de donner le spectacle dans un lieu sacré a évidemment une incidence sur cet aspect, le spectateur se trouvant totalement intégré à l’atmosphère recueillie du Carmel. Si l’on ne se pose jamais la question de la pertinence de cette adaptation, c’est évidemment parce que son interprétation est remarquable. Dès les premières notes, le discours du pianiste est limpide, toujours très bien conduit ; il porte la représentation de bout en bout sans aucune perte d’intensité. Tout en ayant une vision de chef, capable de construire sur la grande forme, il donne à entendre de vraies belles sonorités de piano. Souple et délicat pour les moments les plus intimes et touchants, raide et implacable quand il faut imiter les sons de cloches, il incarne par son jeu l’Ordre aussi bien que la Grâce décrites par Poulenc et Bernanos. Enfin, on sent en permanence qu’il connaît les voix avec qui il joue, et que cela lui permet de leur créer un espace de confort sans jamais sacrifier sa prise de parole pour autant.

Blandine Folio Peres
©️Marianne Asseily

Le soin de raccrocher les wagons entre eux dans cette version coupée revient aussi à la mise en scène de Mirabelle Ordinaire. Elle parvient à fluidifier le tout grâce à un mouvement quasi continu, les préludes servant de préparation à vue au tableau suivant. On regrette simplement la récurrence de sons de cloche pour faire le lien, procédé un peu facile qui devient lassant. Plus généralement, la metteuse en scène réussit à optimiser l’espace dont elle dispose en faisant tout un travail symbolique sur les plans. Ainsi, la première apparition de la Première Prieure se fait au fond de la scène, vers l’autel, à distance et en position dominante vis-à-vis de Blanche qui est elle à l’avant-scène. Lors de son agonie, privée de sa coiffe et de son aura, elle est cette fois tout près du public, et à sa hauteur. Les spécificités de la chapelle sont également bien exploitées, notamment la chaire, sur laquelle Mère Marie et Madame Lidoine se partagent la supériorité, ou les bancs de côté, qui servent de prison. Cette confusion entre lieu réel et lieu fonctionnel rend le saccage des révolutionnaires d’autant plus marquant lorsqu’ils s’en prennent à l’autel, qui n’est pas un élément de décor rapporté. Enfin, il faut relever le soin apporté à la lumière, qui culmine dans une scène finale bouleversante. Les carmélites entrent une à une cierge à la main, sans aucune autre source de lumière, avant de former un chœur. A chaque coup de guillotine, une chanteuse souffle sur sa bougie et disparaît, jusqu’à ce qu’il ne reste que Constance, qui se sert de sa flamme pour allumer le cierge que lui tend Blanche, revenue pour le martyre. Une fois cette dernière lumière éteinte, les dernières notes du piano résonnent alors dans le noir complet, laissant le public accueillir cette fin dans le recueillement le plus total (et profiter d’un peu de silence, chose rare au concert). Avec peu d’éléments de scénographie, cette mise en scène emporte la mise par sa lisibilité, sa finesse, et surtout une remarquable direction d’acteurs.

Laurence Pouderoux
©️Mariane Asseily

En effet, toute la distribution est très investie et très crédible, chacun étant à sa juste place. Le texte se suit très facilement malgré l’absence de surtitres, probablement grâce au travail préalable avec Yoan Héreau, même si du fait de l’acoustique certains passages rapides sont plus confus. Cette version bénéficie d’un certain nombre de chanteuses rompues au répertoire de la mélodie, et donc à l’art de phraser par les mots. On pense en premier lieu à Raquel Camarinha, dont on invite chacun à redécouvrir ou découvrir ses albums dans ce genre (notamment avec Yoan Héreau). Sa Blanche de la Force vaut ainsi par sa clarté, aussi bien que par la présence originale qu’elle lui donne : très digne, moins fragile que d’autres, mais mélancolique. Elle forme un contraste scénique saisissant avec la Constance de Laurence Pouderoux, à qui le rôle sied très naturellement. Voix légère mais riche et bien projetée, elle parvient à porter la gaité du personnage sans mièvrerie.
Madame de Croissy a peu de temps sur scène, mais nécessite une chanteuse en pleine possession de ses moyens, le rôle ayant été pensé sur les possibilités d’un contralto italien type Amnéris. Blandine Folio Peres est peut-être plus lyrique que dramatique, mais la chaleur de son mezzo en fait une Première Prieure très convaincante, charismatique mais jamais virulente. Son vibrato caractérisé est aussi source d’émotion. Elle donne à son personnage une bonté et une dimension pédagogique bienvenues, avant d’être particulièrement intense dans son agonie. Elle est cependant légèrement moins compréhensible que les autres. Mère Marie donne moins de possibilités de débordement, étant obsédée par la règle et l’idée de sacrifice : Anne-Lise Polchlopek est exemplaire de charisme et de sévérité, tout en montrant la mélodiste et la fine technicienne qu’elle est lorsque le rôle consent à fendre l’armure, et à montrer un peu d’humanité. La voix est longue, remarquablement homogène, et l’incarnation toujours intense. Rappelons qu’elle est lauréate du dernier Grand Prix du Concours de Mélodie de Toulouse. Enfin, Axelle Fanyo livre une très grande prestation en Madame Lidoine. Dès sa première note, on est saisi par la faculté de son instrument à irradier dans toute la salle, sans forcer, d’un grand soprano lyrique riche en harmoniques. Surtout, l’émotion que procure ce son est décuplé par l’émotion de la musicienne et de la comédienne : ses paroles dans la prison semblent même arracher des larmes aux artistes des chœurs, tant elles débordent de bonté et d’abnégation. Elle reprendra le rôle à l’opéra de Rouen en janvier, inutile de dire qu’il faudra s’y rendre. Il nous apparaîtrait incompréhensible que les grandes scènes nationales continuent pendant longtemps de bouder cette artiste. Les rôles secondaires, notamment l’Aumônier d’Igor Bouin, sont tous bien caractérisés, laissant entrevoir des personnalités artistiques attachantes.

La soirée s’était ouverte par un discours de la présidente de l’association rappelant l’ancrage historique du lieu de représentation, à deux pas de la place de la Nation où furent exécutées les carmélites historiques, et près des fosses communes de Picpus où leurs corps furent jetés. C’est un bel hommage qu’elles ont reçu ce soir là, d’autant plus que la mise en scène s’accorde une liberté dans le final qui reconnecte la fiction à la réalité historique. Tandis que les condamnées chantent le Salve Regina, on voit sur la chaire Mère Marie, qui n’a pas pu mourir avec elles, chanter aussi en écrivant. Or, Mère Marie de l’Incarnation est le seul personnage entièrement véridique de la pièce, et a de fait couché à l’écrit sa version des faits, après leur avoir survécu. Ce dernier soin est à l’image de la délicatesse qu’on a perçu ce soir.
Une direction musicale fine et cohérente, un plateau investi et talentueux, une production émouvante : on ne peut que souhaiter à ces Carmélites de voyager dans d’autres salles et villes, et on espère avoir l’occasion de retrouver plusieurs fois les artistes de ce soir au premier plan.

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Drame lyrique en trois actes, livret du compositeur sur un support original de Gertrud von Le Fort et de Georges Bernanos
Création en italien le 26 janvier 1957 à la Scala de Milan
Version française créée le 21 juin 1957 à l’Opéra de Paris
Adaptation de Yoan Héreau

Production Sacré Prod, créée le 13 août 2021 à la Cathédrale Sainte-Cécile d’Albi

Détails

Mise en scène
Mirabelle Ordinaire
Scénographie et lumière
Paul de Larminat

Sœur Blanche
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Madame de Croissy
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Mère Marie de l’Incarnation
Anne-Lise Polchlopek
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Laurence Pouderoux
Madame Lidoine
Axelle Fanyo
L’Aumônier du Carmel
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Mère Jeanne
Aliénor de Vallée
Sœur Mathilde
Victoire Loriau de Larminat
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M. Javelinot / Révolutionnaire
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