La tragédie lyrique que Quinault a intitulé Persée a en son centre le personnage de Méduse, et il est assez paradoxal que Marshall Pynkoski, avec l’Opera Atelier Toronto, ait précisément choisi de mettre en scène cette œuvre de Lully. Comment un aussi fervent adepte de la ligne serpentine peut-il se résigner à ce que la laideur suprême soit incarnée par une figure mythologique dont la tête est couverte de serpents ? Pire encore, loin de nous la montrer comme une pitoyable victime de son orgueil, ainsi que le dit le livret, Pynkoski décide de ridiculiser Méduse, sorte de femme à barbe lubrique (il faut la voir remuer la langue de manière suggestive…). Pourquoi le plus reptilien des protagonistes devient-il grotesque, alors que tous les autres aspirent à la condition de serpent ? Dans son Analyse de la beauté, Hogarth faisait du S la forme suprême, et Marshall Pynkoski impose de manière tyrannique cette ligne serpentine à tous les personnages de Persée, condamnés à prendre des poses les éloignant au maximum de la ligne droite. Mais c’est trop de déhanché, trop de contrapposto, et la gestuelle ainsi pratiquée est d’abord risible, puis lassante. Au nom de la reconstitution historique, on nous inflige un théâtre dérisoire, où chacun se tortille de son mieux. Pour les dames, dont le corps est pour l’essentiel dissimulé par de somptueuses robes, un poing sur la hanche ou des bras déployés suffisent, mais les messieurs, moulés dans leurs collants et sanglés dans leurs vestes de toréador, se mettent à ressembler à des vers de terre épileptiques, avec des postures plus proches de la comédie musicale sixties que de ce qu’on imagine avoir été le théâtre du Grand Siècle. Pour le reste, les amateurs de pseudo-reconstitution seront servis : toiles peintes – mais d’une esthétique rappelant davantage les années 1940 que le XVIIe siècle –, « gloires » par où descendent les dieux, danseurs « baroques » (qui se substituent constamment au chœur, condamné à rester invisible, selon une pratique agaçante et de plus en plus répandue). A tout prendre, autant aller jusqu’au bout des choses et s’éclairer à la bougie, comme le fit jadis Benjamin Lazar pour Cadmus et Hermione.
Finalement, ce qu’on entend est beaucoup plus intéressant que ce qu’on voit, car personne n’est venu obliger la musique à serpenter de même. On a néanmoins amputé la tragédie de son prologue, ce qui est toujours dommage. Pour le reste, la partition est plutôt bien traitée par les musiciens du Tafelmusik Baroque Orchestra, dirigés par David Fallis : dans Persée, Lully n’a peut-être conçu aucun morceau vraiment inoubliable, mais il y multiplie les duos de manière tout à fait inaccoutumée. C’est surtout la part féminine de la distribution qui brille, une chance dans la mesure où le rôle qui retient le plus l’attention du spectateur est celui de l’infortunée princesse Mérope, fort bien tenu par Peggy Kriha Dye, au timbre riche et au français excellent, tout comme Carla Huhtanen en Cassiope. Mireille Asselin est une exquise Andromède, dont le soprano léger et cristallin contraste parfaitement avec les voix de ses partenaires (à noter que dans la version de ce spectacle diffusé en DVD, Andromède était interprétée par la mezzo Marie Lenormand). Seul artiste présent sur le DVD Euroarts et présent sur scène à Versailles, Olivier Laquerre est un baryton au timbre un peu sourd, qui a tendance à grommeler en Céphée, mais se montre beaucoup plus éloquent en Méduse, peut-être à cause de la transformation de la Gorgone en rôle comique. Persée, qui a paradoxalement assez peu à chanter, est tenu par la haute-contre Chris Enns, dont on déplore le timbre nasal et l’accent anglo-saxon prononcé. Son confrère Lawrence Wiliford, sans doute moins héroïque de format, est bien plus agréable à entendre, même si son français n’est guère plus idiomatique. Le baryton macédonien Vasil Garvanliev chante dans un très bon français mais manque parfois de projection. Prestation en tous points admirable de l’ensemble Les Cris de Paris, bien que confiné dans la fosse : voilà un chœur qu’on aimerait retrouver plus souvent à l’opéra.