Pour ouvrir sa première saison à la tête de l’Opéra du Rhin, Eva Kleinitz a voulu rompre avec les habitudes et imposer sa marque. Entre les traditionnelles représentations du spectacle lié au festival Musica (cette année, Kein Licht, de Philippe Manoury, qu’on verra bientôt Salle Favart) et les premières représentations données Place Broglie, la directrice a inséré un « Prélude ». En quoi consiste cette « Soirée d’ouverture » ? Eh bien, c’est un peu comme si nous étions des enfants le matin de Noël, qui s’empressent d’ouvrir en même temps tous les cadeaux trouvés au pied du sapin : on déchire en hâte le papier d’emballage, on prend tout juste quelques minutes pour identifier le présent en question, et on passe au paquet suivant. Ce concert devait donc permettre de découvrir les œuvres qui seraient au programme cette saison, enfin, certaines d’entre elles, et les artistes chargés de les interpréter, enfin, certains d’entre eux.
Celui qu’on est sûr de retrouver au cours de l’année, c’est l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, et l’on ne peut que s’en réjouir, s’il est tous les soirs en aussi grande forme. Outre les extraits d’opéra, il dispose d’une page sans rapport avec l’art lyrique pour montrer de quoi il est capable, l’Alborada del gracioso, et Ravel lui va très bien. Sous la direction précise d’un Jérémie Rhorer que l’on n’attend pas forcément dans ce répertoire, l’interlude de Madame Butterfly brille comme un diamant intact, dégagé de tout amollissement sentimental. La polonaise d’Eugène Onéguine est rutilante et solennelle. Quant à l’ouverture des Fées du Rhin, avec sa partie centrale qui la distingue de son réemploi ultérieur sous forme de Barcarolle des Contes d’Hoffmann, était-elle là uniquement parce que nous sommes à l’Opéra du Rhin, ou faut-il croire madame la directrice lorsqu’elle annonce qu’Offenbach sera présent dans l’une des saisons à venir, peut-être même avec ces si rares Fées du Rhin ?
Nous le saurons dans un an. Pour l’heure, l’actualité quasi immédiate, ce sont les représentations des Noces de Figaro, où Vannina Santoni sera la comtesse dont elle chante le « Dove sono ». On le savait déjà, la voix est belle et grande, il faudra simplement veiller à bien la canaliser pour qu’elle reste en adéquation avec les exigences mozartiennes. Avant elle, une des artistes de l’Opéra Studio de l’OnR a eu le redoutable privilège d’être la première à chanter : Fanny Lustaud n’éblouit pas vraiment avec un « Non so più cosa son » pris à tout allure et qui ne traduit guère les émois de Chérubin.
A l’autre bout de la saison viendra Eugène Onéguine, dont Scott Hendricks prend les traits pour ce soir seulement. La voix du baryton américain peut convenir à celle du héros de Pouchkine, mais on le trouvera autrement plus saisissant en Rigoletto, après l’entracte, avec un « Cortiggiani » tout à fait réussi.
En janvier viendra Werther, auquel Abdellah Lasri prête sa voix lors de ce Prélude (pour les représentations, le rôle sera tenu par Eric Cutler). Hélas, l’interprète qui avait séduit à Saint-Etienne semble avoir perdu de son naturel : « Pourquoi me réveiller » se charge de sons exagérément bâillés, de consonnes trop marquées.
Pour le reste du programme, l’évocation est plus indirecte. L’Opéra du Rhin donnera en création française Le Pavillon d’or, opéra de Toshiro Mayuzami d’après Mishima : Madame Butterfly est là pour évoquer le Japon, et c’est à la soprano coréenne Karah Son qu’incombe d’interpréter « Un bel dì vedremo ». L’exercice est maîtrisé, la voix est puissante, aucun doute, mais n’assure que le service minimum sur le plan expressif.
Les membres de l’Atelier Studio se font brièvement entendre dans Eugène Onéguine, pour les quelques répliques de la scène du bal, ou en courtisans répondant à Rigoletto. Un extrait de L’Opéra de quat’ sous leur est réservé, mais l’on attendra de mieux les entendre pour juger de leurs talents.
Le Chœur de l’OnR montre lui aussi qu’on peut compter sur ses forces, le dernier mot de la soirée lui revenant avec l’inévitable « Va pensiero ». Dernier mot avant le bis, toutefois, où il se fait entendre en même temps que la plupart des solistes, plus une invitée de dernière minute : Marie-Ange Todorovitch, qui sera Marcellina dans Les Noces de Figaro, et qui vient être Quickly dans le finale de Falstaff, bis audacieux tant il suppose d’équilibre entre les différentes voix, pari peut-être pas tout à fait tenu, mais qui permet à la soirée de se terminer sur une note de gaieté, de quoi patienter jusqu’à la véritable découverte des cadeaux.