Le deuxième concert du Festival 2011 des « Voix du Printemps » avait de faux airs de Victoires de la Musique Classique. Outre Thierry Escaich, compositeur central de cette nouvelle édition, il mettait en effet à l’honneur une autre récente primée, Karine Deshayes, que l’on se réjouissait d’entendre dans un répertoire quelque peu inhabituel par rapport à ce qu’elle chante régulièrement sur les planches de l’Opéra National de Paris.
Programmée initialement dans les seuls Zwei Gesänge de Brahms, la mezzo française s’emploie également à remplacer une collègue dans les Visions Nocturnes de Thierry Escaich données en ouverture de programme. Créée à Lille en 2004, cette œuvre d’une douzaine de minutes, composée sur une compilation d’extraits de plusieurs œuvres poétiques (on y retrouve Cendrars, Huysmans, Claudel entre autres) fait entendre la voix sous toutes ces formes : chantée, en recto tono lancinants au début, plus loin de façon beaucoup plus lyrique, parlée, parfois criée. Le chant épouse chaque inflexion du texte pour rendre le plus saisissant possible le spectacle de Jésus sur la croix –et pour rendre chaque mot réellement intelligible. L’accompagnement n’est pas moins varié, qui consiste en une formation originale (un quintette, plus une clarinette), multipliant là aussi, par la diversité des jeux, les modes d’expression.
C’est peut-être la relative singularité de la composition de l’accompagnement qui rapproche le plus ces Visions Nocturnes et les Zwei Gesänge de Brahms. Composées sur deux décennies, publiées juste après la 3e Symphonie (qui porte le numéro d’opus précédent, c’est-à-dire le 90), ces deux mélodies enveloppent la voix non seulement par le piano, mais aussi par l’alto. Johan Farjot et Arnaud Thorette, non content d’être les maîtres d’œuvre du Festival, sont également des accompagnateurs attentifs et passionnés. Karine Deshayes, dans le Lied, déploie une voix chaleureuse et rayonnante portée par une diction précise et un style sensible. Son art, dénué comme on le sait de toute ostentation, même dans des répertoires et dans des styles où certaines de ses consœurs peuvent avoir tendance à extrapoler et à vocaliser ad nauseam, semble fait pour la mélodie : dans cette quintessence de chant concentré, la musique est tout naturellement portée par le simple soin apportée aux mots, par la délicatesse des nuances, par les couloirs moirées du timbre.
Le Quatuor avec piano en mi bémol majeur de Schumann, qui concluait le concert, a quant à lui confirmé l’excellence des instrumentistes déjà éprouvée avec brio par les exigences des deux œuvres précédentes. Dès l’imposant mouvement initial, Carole Petitdemange, Joëlle Martinez, et les altiste et pianiste des Zwei Gesänge, Arnaud Thorette et Johan Farjot, enveloppent le Réfectoire des Cordeliers de sonorités généreuses, fermement amples, mais pas imperméables pour autant aux nuances et à la sensibilité, à chaque instant prégnantes. Une conclusion idéale pour un concert qui, en variant au maximum les styles et les époques, ne tombe jamais dans le didactique ou dans l’explication de textes : de Thierry Escaich à Robert Schumann en passant par Johannes Brahms, l’émotion, la poésie et le simple plaisir musical n’étaient jamais bien loin.