Dix jours à peine après le récital de Matthias Goerne, le public bruxellois amateur de lieder se retrouvait un peu clairsemé pour un autre programme de saison, à travers l’œuvre – s’étalant sur plus d’un siècle – de Schubert, Mahler et Strauss, trois compositeurs diversement marqués par l’esprit viennois.
Etonnant contraste de style entre le pianiste allemand, tee-shirt noir sous sa veste à col Mao, et le baryton flamand, en frac, cravate blanche et col dur. D’un côté une remarquable aisance, une véritable familiarité avec le répertoire, la liberté de ton, au risque d’une certaine désinvolture, de l’autre la volonté de bien faire, une grande application un peu intimidée mais pas tout à fait autant de poésie qu’il faudrait.
Placé sous le signe de la Toussaint, et donc de l’évocation de la mort, le récital débute par cinq lieder de Schubert, musique de recueillement, simple en apparence mais qui requiert de la part du chanteur une parfaite maîtrise des couleurs, surtout dans les mélodies strophiques, où la répétition engendre vite la monotonie. La voix de Werner Van Mechelen, qui a largement fait ses preuves dans les registres dramatique ou comique à l’opéra, se trouverait-elle à contre emploi ? En fait de couleurs, la palette du baryton est un peu succincte : un médium assez riche, certes, lorsqu’il s’exprime en pleine puissance, mais des aigus détimbrés, presque blancs, dès qu’il cherche à alléger le caractère. Trop de contrôle, trop de retenue dans l’expression, un peu d’appréhension aussi sans doute, nuisent à la richesse du timbre; l’émission de la voix recule par moments, entravant le legato, même si la diction est assez claire. Le pianiste, Eric Schneider, heureusement, corrige autant qu’il peut ce sentiment un peu terne.
Suivent ensuite trois lieder de Mahler, « Urlicht » extrait de Des Knaben Wunderhorn et deux lieder sur des textes de Rückert, aux accents désespérés. Schneider parvient à tirer de son piano les sons d’un orchestre entier, portant la musique au bout de la salle, sculptant ses phrases dans le bronze, et offre une grande force expressive malgré le dépouillement de la partition. Du côté du chanteur, la vision est sans doute moins grande, sans réel sentiment métaphysique, mais la réalisation est très soignée.
Toute la deuxième partie du programme est consacrée à la musique de Richard Strauss, dont le lyrisme généreux convient mieux au chanteur. Rückert encore, avec les trois lieder de l’opus 87, puis viennent quatre parmi les plus célèbres des lieder de Strauss : « Zueignung », « Die Nacht » et « Allerseelen », tous extraits de l’opus 10, qui sont des œuvres de jeunesse, et enfin le magnifique « Morgen », quintessence du lieder straussien, dont l’essentiel de la réalisation revient au pianiste, achevant le récital sur une note plus lumineuse. Dans ces pages magnifiquement écrites pour la voix et qu’il pratique vraisemblablement depuis longtemps, le baryton trouve, enfin, le caractère qui lui convient, la liberté de ton, le plaisir du beau chant qu’il a peu manifesté jusque-là, et une complicité épanouie avec son pianiste.
Poursuivant sur cette heureuse lancée, il entame un premier bis, « Traum durch die Dämmerung » de Strauss toujours, puis un second, moins confortable pour le pianiste, l’incontournable « Erlkönig » de Schubert, dont le caractère dramatique exacerbé ne manque pas – comme d’habitude – de faire vibrer la salle…