Saison Saint-Saëns que cette année 2016-2017, nous vous le disions il y a peu, saison qui s’est ouverte avec Samson et qui se poursuit avec Proserpine. Après avoir ressuscité La Jacquerie de Lalo et Coquard la saison dernière, au concert et au disque, le Palazzetto Bru-Zane redonne sa chance à l’opéra de Saint-Saëns d’après Auguste Vacquerie. Proserpine, alias Perséphone, fille de Cérès et épouse de Pluton ? Non, Proserpine, courtisane imaginaire de la Renaissance italienne, gourgandine amoureuse et jalouse, lointaine cousine de la Tisbé, héroïne d’Angelo, tyran de Padoue. Parenté hugolienne qui n’a d’ailleurs rien d’étonnant, puisque Proserpine est un mélodrame romantique né sous la plume du frère de ce Charles Vacquerie avec qui se noya Léopoldine H. à Villequier en 1843. C’est à 19 ans que ledit Auguste commit cette Proserpine, pétri d’admiration pour l’auteur d’Hernani dont il allait devenir le proche et l’épigone. Dans cette pièce publiée sur le tard, en 1872, Saint-Saëns crut trouver le décor et les personnages qu’il cherchait et confia à Louis Gallet l’élaboration du livret. Et Proserpine fut hélas une des victimes de l’incendie de l’Opéra-Comique, qui survint deux mois après la création et compromit toute chance de succès durable. Une reprise en 1899 permit de modifier la fin pour la rendre moins désespérante : Proserpine se suicidait, laissant la vie sauve à sa rivale détestée. En découvrant cette œuvre, on entrevoit les raisons pour lesquelles Saint-Saëns dut toujours se battre pour faire remonter ses ouvrages : le compositeur de Samson était tout à fait capable de confrontations dramatiques, de pages pleines d’énergie et de tension, mais ce qui lui manquait peut-être, c’était l’art d’imposer un personnage, d’étoffer musicalement une figure pour lui conférer une identité claire. L’héroïne éponyme a de bien beaux moments, et elle n’est pas la seule, mais les protagonistes peinent à prendre vie.
Malgré tout, on le répète, cet opéra est riche en passages fort bien venus et, fidèle à ses excellentes habitudes, le Centre de musique romantique française avait réuni une distribution de très haute volée. Après la réussite de Cinq-Mars et de Dante, Ulf Schirmer fait désormais figure de spécialiste du répertoire français du XIXe siècle, et c’est avec la même ardeur qu’il aborde la partition de Saint-Saëns. Alors que l’on reprochait souvent au compositeur d’être un « symphoniste » avant tout, cette qualité semble aujourd’hui tout à fait appréciable, le wagnérisme âprement reproché à la partition est devenu un mérite, et l’Orchestre de la radio de Munich fait admirablement sonner cette musique, notamment l’intermède symphonique séparant les troisième et quatrième actes. Pour une fois, ce n’est le Chœur de la radio bavaroise qui est venu avec l’orchestre, mais le Chœur de la radio flamande, pilier incontournable des résurrections du PBZ, formation qui mérite une fois de plus tous les éloges, même si sa prestation se résume finalement à assez peu de choses, sauf au deuxième acte, où les religieuses du couvent bénéficient d’une écriture qui multiplie les interventions de solistes issues du chœur.
Distribution aux petits oignons, on le répète, jusque dans les plus petits rôles. Trois personnages n’apparaissent qu’au premier acte, les ex- ou futurs galants de Proserpine, figures d’opéra-comique. Artavazd Sargsyan et Philippe-Nicolas Martin y remplissent parfaitement leur contrat, mais c’est surtout Mathias Vidal qui se détache, le rôle d’Orlando étant un peu plus développé et interprété avec son habituel brio par ce ténor dont certaines incursions dix-neuviémistes se sont déjà révélées fructueuses. Au deuxième acte, Clémence Tilquin prête une voix chaleureuse à la religieuse qui promet les joies du mariage à la pensionnaire sur le point de quitter le couvent. A leurs côtés, cinq personnages principaux se partagent la vedette. Jean Teitgen impressionne une fois de plus par ses moyens somptueux, même dans le rôle de Renzo, gentil frère de la gentille Angiola. Celle-ci trouve en Marie-Adeline Henry une interprète qui montre bien que, malgré son nom, la rivale de Proserpine n’est pas une oie blanche ; Saint-Saëns ne la ménage pas, d’ailleurs, et lui a écrit des interventions tout aussi dramatiques que pour le rôle-titre. L’aigu semble avoir trouvé une nouvelle assise, ce dont on se réjouit pour l’avenir de la soprano, prometteuse nouvelle recrue dans « l’écurie » du Palazzetto. Toujours aussi expressif, Andrew Foster-Williams s’épanouit dans le personnage truculent de Squarocca, complice des mauvaises actions de Proserpine, qui hérite même au troisième acte d’une pittoresque chanson à boire qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe. En écoutant Frédéric Antoun, mozartien de grande classe et idéal interprète des héros d’opéra-comique français, on se dit que son regretté compatriote Léopold Simoneau a désormais un héritier dont on a hâte d’entendre le Nadir ou le Des Grieux. A peine deux ou trois grésillements quasi-imperceptibles laissent supposer que le ténor canadien peut avoir été sensible au froid, impression contredite par la vaillance de ses aigus. Quand elle n’a rien à chanter, on voit parfois Véronique Gens toussoter, mais elle ne paraît pas autrement souffrante, tant elle se donne à fond dans son incarnation de Proserpine, notamment lorsque l’héroïne se livre, au troisième acte, à une impressionnante invocation de son homonyme mythologique. Tragédienne, oui, et plus que jamais (il est maintenant confirmé que la glorieuse série de trois disques portant ce titre connaîtra un quatrième volet !). On rêve d’avance de sa Caterina Cornaro, pas celle de Donizetti, mais celle d’Halévy dans La Reine de Chypre programmée en juin prochain.