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PUCCINI, La Bohème – Paris (Bastille)

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Spectacle
5 mai 2023
Leçon d’humilité pour un lyricophile, ou comment redécouvrir une œuvre que l’on croyait connaître

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en quatre tableaux

Musique de Giacomo Puccini

Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après les Scènes de la vie de bohème de Henry Murger

Création le 1er février 1896 au Teatro Regio de Turin

Détails

Mise en scène

Claus Guth

Dramaturgie

Yvonne Gebauer

Décors

Étienne Pluss

Costumes

Éva Dessecker

Lumières

Fabrice Kebour

Vidéo

Arian Andiel

Chorégraphie

Teresa Rotemberg

 

Mimì

Ailyn Pérez

Musetta

Slávka Zámečníková

Rodolfo 

Joshua Guerrero

Marcello

Andrzej Filończyk

Schaunard

Simone Del Savio

Colline/Benoît

Gianluca Buratto

Alcindoro

Franck Leguérinel

Parpignol

Luca Sannai

Sergente dei doganari

Bernard Arietta

Un doganiere

Pierpaolo Palloni

Un venditore ambulente

Paolo Bondi

Le maître de cérémonie

Virgile Chorlet

 

Chœurs de l’Opéra National de Paris

Cheffe des chœurs

Ching-Lien Wu

Maîtrise des Hauts-de-Seine et Chœur d’enfants de l’Opéra National de Paris

Directeur de la maîtrise

Gaël Darchen

 

Orchestre de l’Opéra National de Paris

Direction musicale

Michele Mariotti

 

Mise en scène crée à l’Opéra National de Paris en 2017

 

Opéra National de Paris (Bastille), 2 mai 2023, 19h30, Première

Le parfait lyricophile doit pouvoir se targuer d’avoir assisté à des prestations vocalement exceptionnelles, de connaître un certain nombre de raretés anciennes, d’être au fait de la création contemporaine, d’avoir le premier pressenti de grandes carrières. Il doit également avoir une théorie sur les différentes périodes vocales d’une ou deux idoles, fréquenter les festivals et avoir assisté à une bonne cinquantaine de Flûte enchantée. Et à au moins deux fois plus de Bohème. À sa soixante-quinzième, d’un air suffisant, il déclarera avoir fait le tour de cette intrigue somme toute un peu niaise et se focalisera sur la seule question qui, au fond, l’intéresse vraiment : peut-on encore chanter Mimì après la Callas ?

Et puis, le parfait lyricophile assistera, sidéré, à ce qu’il croyait être, au mieux, une bonne Bohème de plus : celle de Claus Guth.

© Guergania Damianova – ONP

La lecture proposée par le metteur en scène allemand est aux antipodes – ou, plus précisément, à des années lumières – de tout ce qu’il a vu. Pourtant, sans jamais déformer le livret, elle donne à l’œuvre une nouvelle dimension, une profondeur qui, dans les mises en scène traditionnelles (et toute autre mise en scène paraît traditionnelle désormais), n’apparaît pas. Ce qui semblait n’être qu’une histoire d’amour touchante devient une vaste réflexion sur le temps, l’amour et le souvenir, la mort, la finitude.

Il ne s’agit pas seulement de reprendre le procédé des Scènes de la vie de Bohème de Mürger où, à la fin de l’ouvrage, les protagonistes se rappellent leur propre vie de bohème, mais de pousser plus loin cette explosion du temps linéaire et, en dernière instance, de montrer comment l’amour met en crise le temps, l’espace, la séparation entre morts et vivants. On n’est pas très loin de La Jetée de Chris Marker.

Comment cette brèche spatio-temporelle est-elle ouverte ? En cherchant à établir la plus grande distance concrète entre les protagonistes et le lieu de leurs souvenirs. Rodolfo, Marcello, Schaunard et Colline sont encore survivants dans une fusée à la dérive. Mimì, elle, est morte depuis longtemps et n’a jamais embarqué pour la lune. L’oxygène manque, la mort n’est pas l’aboutissement de l’opéra  mais bien son point de départ. C’est à l’aune d’une mort certaine et imminente que toute l’action peut désormais être relue. Et, comme pour donner un sens à la lutte pour la vie, les souvenirs  – agréables d’abord – ressurgissent. Plus généralement, cette relecture du passé à l’aube de la mort n’est peut-être rien d’autre qu’une expérience de mort imminente, un moment où toute la vie défile en un éclair. Comme une comète, comme une autre crise de la temporalité.

© Guergania Damianova – ONP

La vie passe comme une comète, elle est une flamme fragile, un éclair fugitif. Lorsque Mimì surgit pour la première fois, elle n’est est déjà plus qu’un souvenir. Et dans le livret, n’apparaît-elle pas précisément parce que sa chandelle est éteinte ? Notre lyricophile, amateur des madrigaux de Monteverdi, le savait pourtant : È questa vita un lampo, ch’all’apparir dispare in questo mortal campo. Il n’empêche que l’œuvre prend une profondeur inédite à cet instant précis. La chandelle – dont la flamme peut s’éteindre à tout moment et qui, même dans les circonstances les plus favorables, finira inéluctablement par se consumer –  reviendra de manière récurrente dans le spectacle. À la toute fin, la mort de Mimì n’existe que parce que Rodolfo la revit à travers sa propre agonie, au moment où la frontière entre le monde des morts et celui des vivants est la plus floue, au moment où le souvenir de la mort de l’aimée est charnellement incarné. Lorsque la flamme s’éteint pour Rodolfo, toutes les imbrications spatio-temporelles, toutes les incursions du passé terrestre dans le présent extraterrestre, se résolvent dans une mort certaine. Mimì, qui n’était déjà plus qu’un souvenir, meurt une seconde fois avec Rodolfo qui continuait de la faire exister.

Le propos est servi par une scénographie convaincante. La transposition de l’intrigue dans l’espace est aussi prétexte à un décor (Étienne Pluss) et un éclairage (Fabrice Kebour) sobres mais, à la fois, somptueux. Lorsqu’une grosse planète frôle le vaisseau, on ne peut s’empêcher de songer à Melancholia, le film de Lars von Trier où l’espace permet aussi le rappel de l’imminence de la mort et de la finitude de toute chose. La scénographie rappelle subtilement la mansarde par un trait lumineux horizontal incliné, le café Momus par des décors plus explicites – c’est alors le souvenir qui agit –  ou encore la barrière d’Enfer par deux traits verticaux qui coupent l’espace infini.© Guergania Damianova – ONP

© Guergania Damianova – ONP

Une distribution de qualité achève de convaincre, à quelques réserves près. La Mimì d’Ailyn Pérez offre un timbre riche et chaleureux. La voix est ronde et charnue, tous les éléments sont là pour offrir une magnifique incarnation. On regrette toutefois un souffle souvent trop court, en particulier dans les longs decrescendos qui ne sont jamais aussi touchants que lorsqu’ils semblent faciles, ce qu’ils ne sont assurément pas. Les graves sont peu soignés et les intervalles larges sont prétexte à des ports de voix qui donnent l’impression de ne pas être maîtrisés tans ils sont marqués. Slávka Zámečníková est une Musetta flamboyante, comme il se doit. Son « Quando me’n vo’ » est idéal jusqu’au si aigu, mal accroché et un peu bas mais qui fait néanmoins l’objet d’un point d’orgue généreux (c’est un problème de placement avant d’être un problème de justesse). Joshua Guerrero (Rodolfo) brille ce soir peut-être davantage pour ses indéniables qualités d’acteur que pour sa performance vocale. La voix est large, le timbre chaleureux mais la projection trop limitée pour une salle comme Bastille. Certains des élans les plus lyriques de la partition lui étant dévolus, l’orchestre prendra plusieurs fois le dessus, couvrant franchement le chanteur. Souvent, il semble très loin derrière un orchestre trop présent. Si cet effet trouve finalement un écho intéressant dans la mise en scène, il est certain que l’équilibre est à revoir. Dans le « O soave fanciulla » et, plus généralement dans l’opéra, ses attaques sont souvent prises par le bas, ce qui est toujours regrettable. Le Marcello d’Andrzej Filończyk offre quant à lui une très belle projection, un timbre large et une interprétation toujours sûre et présente. Simone Del Savio est un Schaunard très convaincant, aux graves bien appuyés et au jeu toujours efficace, tandis que le Colline de Gianluca Buratto offre à son personnage un relief que tous les interprètes ne parviennent pas à donner. C’est une très belle basse, présente, aux graves parfois un peu rocailleux.

Dans les rôles secondaires, Franck Leguérinel (Alcindoro), Luca Sannai (Parpignol), Bernard Arrieta (Sergente dei doganari), Pierpaolo Palloni (un doganiere) et Paolo Bondi (un venditore ambulente) complètent idéalement la distribution.

Sous la baguette de Michele Mariotti, l’Orchestre de l’Opéra National de Paris évite les excès de pathos, offrant ainsi une interprétation équilibrée, ce qui n’exclut pas quelques traits un peu plus caricaturaux, comme des glissandos très marqués (mais pas pour autant malvenus)  aux cordes. L’équilibre sonore entre la fosse et la plateau n’est pas toujours idéal mais, musicalement, la symbiose est réelle.

Au terme de la représentation, notre lyricophile rejoindra ses amis lyricophiles et, laissant la question de la Callas de côté pour un temps, ils conviendront que la grande richesse d’une bonne mise en scène est certes de jeter un regard neuf sur ce qu’on pensait connaître, mais qu’une mise en scène géniale, elle, se saisit d’une œuvre et, sans la trahir, lui pose les questions qui n’ont cessé d’inquiéter la réflexion philosophique, ces questions dont l’urgence et l’acuité ne sont jamais aussi intenses que lorsqu’on fait face aux deux seules certitudes qui vaillent : la mort des autres et, par conséquent, notre propre mort à venir.

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Musique de Giacomo Puccini

Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, d’après les Scènes de la vie de bohème de Henry Murger

Création le 1er février 1896 au Teatro Regio de Turin

Détails

Mise en scène

Claus Guth

Dramaturgie

Yvonne Gebauer

Décors

Étienne Pluss

Costumes

Éva Dessecker

Lumières

Fabrice Kebour

Vidéo

Arian Andiel

Chorégraphie

Teresa Rotemberg

 

Mimì

Ailyn Pérez

Musetta

Slávka Zámečníková

Rodolfo 

Joshua Guerrero

Marcello

Andrzej Filończyk

Schaunard

Simone Del Savio

Colline/Benoît

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Sergente dei doganari

Bernard Arietta

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Paolo Bondi

Le maître de cérémonie

Virgile Chorlet

 

Chœurs de l’Opéra National de Paris

Cheffe des chœurs

Ching-Lien Wu

Maîtrise des Hauts-de-Seine et Chœur d’enfants de l’Opéra National de Paris

Directeur de la maîtrise

Gaël Darchen

 

Orchestre de l’Opéra National de Paris

Direction musicale

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Mise en scène crée à l’Opéra National de Paris en 2017

 

Opéra National de Paris (Bastille), 2 mai 2023, 19h30, Première

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