Une réelle inquiétude s’empare de l’assistance lorsque, micro en main, Eric Blanc de la Naulte, directeur de l’Opéra de Saint-Etienne, l’informe de la laryngite qui afflige notre Mimi. Cependant, courageusement, Gabrielle Philiponet assurera le rôle.
Un échafaudage occupe le côté jardin, devant un rideau de scène dont la peinture est inachevée : c’est l’ouvrage de Marcello. Pas de mansarde aux premier et dernier actes. Alors que l’orchestre s’accorde, ce dernier accueille Rodolfo… Comme à son habitude, la mise en scène d’Eric Ruf, respectueuse et sobre, réalise une traduction qui répond pleinement aux attentes du public, averti comme neuf. Révélée au Théâtre des Champs-Elysées l’an passé (1), on n’en fera pas une nouvelle description, à ceci près que l’on s’interroge sur la fausse bonne idée de la substitution du cadre de scène à l’intérieur de la mansarde, car la cohérence en souffre. Brûler le manuscrit de Rodolfo dans le trou du souffleur pose problème, comme l’arrivée de Benoît sur scène. L’intimité requise pour la mort de Mimi perd également une part de son émotion. Oublions, puisque le reste est une absolue réussite. Bertrand Couderc nous offre des lumières qui sont un constant régal (quelle lune superbe et changeante !). Les costumes de Christian Lacroix nous ravissent, chacun retient l’attention, jusqu‘au plus humble choriste ou figurant. La direction d’acteurs est millimétrée, les tableaux soignés. Enfin, absolument tous les chanteurs sont familiers de l’ouvrage dont ils connaissent les ressorts, les pièges comme les ressources. Une proportion importante d’entre eux est italienne (trois de nos quatre compères, ainsi que Matteo Peirone, qui chante Benoît et Alcindoro), garantie d’une articulation et d’un chant génériques, que nos Français s’approprient de façon inégale, quelles qu’en soient les qualités. Les chœurs (celui de l’Opéra et la Maîtrise), musicalement et dramatiquement exemplaires, participent à notre bonheur. Sans oublier un chef dans son élément, qui donne à l’orchestre le moyen de briller de tous ses feux. Giuseppe Grazioli, dont le sens théâtral est aussi juste que sa conduite de l’ouvrage, nous vaut un tissu instrumental souple, soyeux, raffiné, sans lourdeur ni sensiblerie, exemplaire, pour une conduite vivante du chant.
On a déjà admiré Gabrielle Philiponet, qui a incarné Mimi à de multiples reprises, après avoir chanté Musetta (Metz, 2017). Compte tenu de l’affection dont elle souffre ce soir, les graves sont davantage timbrés et on perçoit combien les aigus (parfois évités) du premier acte n’ont pas leur rayonnement habituel. Mais notre Mimi va tout donner à son public (2) et rapidement faire oublier ses tracas physiologiques pour atteindre au plus haut niveau. Le chant et le jeu de Gabrielle Philiponet trouvent à cette occasion une justesse, une vérité qui participent pleinement à notre émotion. La voix est pleine, chaude, sûre et racée, et elle traduit idéalement son amour comme sa détresse, pudique et ardente, toujours digne. Si « Mi chiamano Mimi » porte quelques rares stigmates de la laryngite, ceux-ci ont disparu ensuite (« Rodolfo m’ama », « D’onde lieta usci ») avec des ensembles plus admirables et sensibles les uns que les autres. Le « Sono andati ? » de son ultime duo est pathétique, poignant. Une des plus grandes Mimi écoutées ces dernières années. En Musetta, Perrine Madœuf, grisette de luxe dont la voix piquante du début prendra progressivement des tons plus assombris. La technique est irréprochable et son aisance vocale et scénique convaincante. Attachante, séduisante « Quando me’n vo’ soletta », mais éprise de son Marcello, on y croit.
© Cyrille Cauvet
L’entrain, la vitalité, la bonne humeur marquent la première apparition des quatre compères, que l’on retrouvera au dernier acte, avec les évolutions dansées burlesques, superbement réglées par Glysleïn Lefever. Leur entente vocale, dramatique et chorégraphique est un modèle. En Rodolfo, nous découvrons Matteo Desole, au timbre avantageux, aux aigus épanouis et sans ostentation, qui rend remarquablement ce qu’il y a de spontané et de jeune dans son personnage. La voix est souple, égale, la ligne soutenue à souhait, aux phrasés élégants. « Che gelida manina » appelle, à juste titre, les ovations du public. L’évolution du personnage est traduite avec justesse, jusqu’à la catastrophe finale. Andrea Vincenzo Bonsignore nous vaut un Marcello de caractère, bien chantant. Le souffle est puissant, le timbre affirmé. Son duo du dernier acte avec Rodolfo, tout de tendresse est superbe. Le musicien, Schaunard, Matteo Loi, est admirable. L’émission de notre baryton est claire et même si ses interventions sont limitées aux ensembles et à quelques répliques, sa présence dramatique et vocale est essentielle. Colline est confié à la basse inspirée et chaleureuse de Guilhem Worms. Son air du IV « Vecchia zimara » est justement acclamé par le public. Matteo Peirone est irrésistible en Benoît, accoutré de singulière manière. Son Alcindoro, naïf, infatué de sa personne autant que domestiqué par Musetta, est très juste. Artiom Kasparian défend bien Parpignol.
Enfin, trois solistes issus du chœur – Laurent Pouliaude pour le douanier, Frédéric Foggieri pour le sergent, enfin Isaïas Soares da Cunha en vendeur – se montrent à la hauteur de cette belle distribution, homogène, soudée.
Rarement le public stéphanois aura réservé tant de rappels et de chaleureuses ovations à une formidable équipe dont la prestation demeurera longtemps dans les mémoires.
(1) Lire l'article : Tiercé toujours gagnant (2) Après avoir été bouleversante, épuisée, elle-même, bouleversée lors des saluts, ne peut cacher son émotion.