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PUCCINI, La Fanciulla del West — Hambourg

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Spectacle
29 mars 2025
Quand l’orchestre dégaine trop fort

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en trois actes de Giacomo Puccini sur un livret de Guelfo Civinini & Carlo Zangarini d’après le drame de David Belasco, The Girl of the Golden West (1905)

Création le 10 décembre 1910 au Metropolitan Opera de New York

Détails

Mise en scène
Vincent Boussard

Décors
Vincent Lemaire

Costumes
Christian Lacroix et Vincent Boussard

Lumières
Guido Levi

Minnie
Anna Pirozzi

Dick Johnson
Gregory Kunde

Jack Rance
Claudio Sgura

Nick
Andrew Dickinson

Ashby
Han Kim

Sonora
Tigran Martirossian

Trin
Paul Kaufmann

Sid
Nicholas Mogg

Bello
Charles Rice

Harry
Mziwamadoda Sipho Nodlayiya

Joe
Ziad Nehme

Happy
William Desbiens

Larkens
Grzegorz Pelutis

Billy Jackrabbit
Mateusz Ługowski

Wowkle
Aebh Kelly

Jake Wallace
David Minseok Kang

José Castro
Keith Klein

Un postillon
Hyunjung Song

Une voix

Artur Canguçu

Chor der Hamburgischen Staatsoper, Christian Günther
Philharmonisches Staatsorchester Hamburg

Direction musicale
Francesco Ivan Ciampa

Hambourg, Staatsoper, le mercredi 26 mars 2025, 19h30

Créée en 2015, la production de Vincent Boussard transpose l’action dans une époque moderne indéterminée. N’étaient des costumes bigarrés disparates qui semblent parfois sortis d’un défilé de mode branchouille (ils sont co-signés par l’ancien couturier Christian Lacroix), on pourrait se croire dans le Midwest des États-Unis, ou au Canada, en Colombie-Britannique, quelque part du côté des prospecteurs de gaz de schiste. La modernisation est plaisante et plutôt bien vue, mais elle fait l’impasse sur quelques ressorts du livret. À l’époque de la Ruée vers l’or (1849-1850) en effet, les prospecteurs sont des déclassés qui espèrent faire fortune et qui ont rompu leurs attaches avec le Nord industriel. La justice était sommaire voire inexistante et l’argent difficile à gagner : ceci explique la méfiance des prospecteurs envers les nouveaux venus (ici, Dick Johnson) et leur rapidité à condamner à la pendaison un simple tricheur sans procès (ce ne sont pas eux qui auraient opté pour une peine de substitution). De nos jours, les prospecteurs ne sont que de simples salariés qui ne s’enrichiront jamais autant que ceux qui les emploient : le rêve américain a du plomb dans l’aile. Par ailleurs, contrairement à ce que l’on imagine généralement, La Fanciulla del West ne se termine d’ailleurs pas vraiment par un happy end. Certes, Dick Johnson échappe à la mort, mais il est condamné avec Minnie à abandonner sa quête d’un avenir meilleur. Leurs rêves de bonheur sont irrémédiablement brisés : la pièce originale de Belasco est encore plus claire à ce sujet, l’auteur faisant suivre la scène de pardon (la dernière dans l’opéra) par une ultime scène où les deux amants retournent vers l’Est en pleurant sur leurs espoirs détruits. La transposition fait l’impasse sur cette dimension et nous montrent même des amants réjouis au milieu des lamentations de leurs anciens compagnons, malentendu classique. Cette réserve exprimée, la production tient la route, avec de beaux moments de théâtre. La direction d’acteurs est en effet impeccable, crédible et fouillée dans le détail. Le déroulé dramatique est quasi cinématographique, mais dans un univers visuel un brin déjanté très spectaculaire. On exprimera néanmoins une réserve sur le manque de crédibilité de la scène où Dick Johnson blessé vient se cacher dans la maison de Minnie : selon le livret, Dick est caché dans le grenier ; ici, il est étendu dans un escalier, à la vue de tous, et on se demande comment Rance fait pour ne pas le voir. Les décors sont originaux dans leur esthétique et dramatiquement efficaces. À quelques détails près donc, le spectacle est original et réussi et tient parfaitement la route, dix ans après sa création.

Remplaçant Paolo Cargnani qui lui même se substituait à Antonino Fogliani, Francesco Ivan Ciampa n’a sans doute pas mesuré pleinement les conditions d’équilibre entre le plateau et la fosse. L’orchestre est superbe mais le chef italien le laisse se déchainer sans retenue dans un maelström épuisant couvrant continuellement les voix, qu’il s’agisse des chœurs ou des solistes (lesquels ne sont pourtant pas les premiers venus en terme de puissance de projection). La direction est dynamique mais assez classique. Ce fracas constant n’a même pas le mérite d’éclairer la complexité de la partition, peu de détails particuliers ressortant de la fosse, à quelques rares exception près : par exemple les percussions qui viennent souligner le galop du cheval du postillon, ou encore de l’imitation de hennissement lorsqu’est évoqué l’épisode de la mâchoire d’âne de Samson.

Anna Pirozzi campe une Minnie maternelle, figure protectrice et réconfortante de la troupe des mineurs. La voix est souple, et le soprano offre des aigus puissants dénués de dureté. Le médium et le grave, particulièrement sollicités, sont moins prégnants, la voix manquant un peu de la largeur attendue pour le rôle (et ce n’est pas le chef qui aide). On a ainsi davantage l’impression d’entendre un soprano spinto verdien que l’authentique soprano drammatico effectivement requis (Anna Pirozzi chante avec talent des rôles de soprano drammatico d’agilità comme Lady Macbeth ou Abigaile, mais dans le cas de Minnie, nulle agilité n’est requise). Gregory Kunde faisait ce soir sa prise de rôle en Dick Johnson. L’orchestre de Puccini est plus clément avec le ténor, et le chanteur américain souffre moins du déluge de décibels émanant de la fosse. Ses deux airs sont des miracles d’intelligence vocale dans lesquels son passé belcantiste viennt appuyer une voix qui a évolué vers les emplois de spinto. Les aigus sont percutants, confondant d’aisance, mais sans compromission avec la noblesse du chant : Kunde campe ainsi un Dick Johnson à la fois émouvant par les nuances de son chant, et excitant par son énergie. Bien dirigé, le ténor américain témoigne de qualités d’acteurs qu’on ne lui a pas toujours connues. A titre d’exemple, tous ses échanges avec Minnie au premier acte nous laissent sur une subtile impression d’indécision : on ne saisit pas la part de fourberie du voleur qui visite les lieux de son futur larcin et celle de la flamme amoureuse qui renait. Enfin, la complicité est parfaite entre Kunde et Pirozzi et, en dépit de la maturité des deux artistes, on finit par croire à cette intrigue amoureuse. On regrettera (mais c’est le lot des théâtres de répertoire) que l’on n’ait pas profité de la présence de ces deux artistes pour donner la version du duo de l’acte II modifié par Puccini pour la création romaine de 1922, laquelle se termine par un contre-ut pour les deux protagonistes (1). Avec sa silhouette longiligne qui domine le plateau, Claudio Sgura campe un Rance de grande prestance et d’une autorité naturelle. Vocalement, l’aigu est un peu blanc et la voix manque toutefois un peu de puissance, en particulier dans le contexte de cette exécution musicale. La composition théâtrale est en revanche très réussie, d’autant que le personnage du shérif est assez complexe : bas dans ses instincts libidineux, rancunier, d’une violence à peine contenue, mais aussi joueur, et empreint d’une certaine noblesse dans le respect de la parole donnée ou lorsqu’il se plie à contre-cœur à la clémence des mineurs (Scarpia par exemple se pose moins de questions et a moins de scrupules).

Puccini a prévu un nombre impressionnant de rôles secondaires, les dotant chacun d’une personnalité propre. Le ténor Andrew Dickinson est excellent en Nick (le serveur du bar philosophe), bien chantant et bon acteur. En Ashby, l’employé de la Wells Fargo, Han Kim offre une belle voix de basse, sonore et au timbre clair. On retrouve avec plaisir Tigran Martirossian en Sonora. Au début des années 2000, le baryton-basse s’illustra dans des rôles de premier plan, notamment dans le belcanto romantique, et son chant n’a rien perdu de ses qualités pour ce rôle de caractère. En Harry, Mziwamadoda Sipho Nodlayiya offre une voix haut perchée bien conduite, très séduisante. Le baryton David Minseok Kang rend avec délicatesse la romance nostalgique de Jake Wallace. La basse Grzegorz Pelutis campe bien le désespoir de Larkens pour lequel les mineurs se cotisent afin qu’il puisse rentrer au pays. Nicholas Mogg est un Sid (le tricheur) veule à souhait. Charles Rice est un Bello véhément. Le ténor Ziad Nehme sait exprimer la délicatesse maladroite de Joe. Paul Kaufmann (Trin) est un efficace ténor de caractère. Physiquement et vocalement, le baryton-basse Keith Klein est épatant en bad boy (José Castro). Le rôle de Wowkle est très court mais Aebh Kelly sait attirer l’attention par son beau timbre sombre de mezzo, et par sa composition d’une domestique revêche, indisciplinée et méfiante. Au premier acte, l’intervention de Billy Jackrabbit, l’amérindien amateur d’eau-de-feu, est coupée, probablement jugée politiquement incorrecte en dépit de son triste réalisme : Mateusz Ługowski conserve ses répliques du début de l’acte II et peut déployer une belle voix de basse au timbre chaud. L’acte III permet d’apprécier en solo le Happy expressif de William Desbiens. Comme on le voit, la troupe est de haut niveau, condition indispensable à la représentation de cet ouvrage exigeant, enfant préféré de son auteur mais qui n’a jamais vraiment trouvé son public en dépit de ses qualités. Ajoutons que les chœurs sont également excellents.

(1) Il existerait 8 versions de La Fanciulla del West. Dès la première, Arturo Toscanini avait d'ailleurs allégé certains détails de l'orchestration, avec la bénédiction de Puccini.

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Opéra en trois actes de Giacomo Puccini sur un livret de Guelfo Civinini & Carlo Zangarini d’après le drame de David Belasco, The Girl of the Golden West (1905)

Création le 10 décembre 1910 au Metropolitan Opera de New York

Détails

Mise en scène
Vincent Boussard

Décors
Vincent Lemaire

Costumes
Christian Lacroix et Vincent Boussard

Lumières
Guido Levi

Minnie
Anna Pirozzi

Dick Johnson
Gregory Kunde

Jack Rance
Claudio Sgura

Nick
Andrew Dickinson

Ashby
Han Kim

Sonora
Tigran Martirossian

Trin
Paul Kaufmann

Sid
Nicholas Mogg

Bello
Charles Rice

Harry
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Joe
Ziad Nehme

Happy
William Desbiens

Larkens
Grzegorz Pelutis

Billy Jackrabbit
Mateusz Ługowski

Wowkle
Aebh Kelly

Jake Wallace
David Minseok Kang

José Castro
Keith Klein

Un postillon
Hyunjung Song

Une voix

Artur Canguçu

Chor der Hamburgischen Staatsoper, Christian Günther
Philharmonisches Staatsorchester Hamburg

Direction musicale
Francesco Ivan Ciampa

Hambourg, Staatsoper, le mercredi 26 mars 2025, 19h30

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