A l’occasion du 100e anniversaire de la disparition du compositeur toscan, l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz a souhaité programmer La Rondine, avant-dernier opéra de Puccini. Créé en 1917 à Monte-Carlo, initialement pensé pour être une opérette, cette œuvre est étonnamment bien trop absente du répertoire, alors qu’elle offre de nombreux airs d’excellentes factures. Le rôle de Magda est suffisamment étoffé pour permettre à une soprano d’y trouver son compte, tout comme le rôle de Ruggero si l’on pense à ajouter l’air supplémentaire, « Parigi », du premier acte. La dernière scène, tragique, confère à l’œuvre une certaine profondeur et la sauve d’une légèreté superficielle. L’air final est d’ailleurs une prouesse toute puccinienne : déchirant, il vous tire les larmes, alors qu’il est composé en mode majeur.
Paul-Émile Fourny a, précisément, cherché à dépasser l’apparente simplicité du livret. Pour ce faire, une mise en abyme du théâtre dans le théâtre est proposée. Magda rassemble autour d’elle ses amis, Prunier, Yvette, Bianca et Suzy et leur raconte son histoire sur la scène abimée d’un théâtre abandonné conçu par Benito Leonori et éclairé par Patrick Méeüs. Tout l’opéra, déplacé à l’époque de sa composition dans les années 1910, est ainsi un récit rétrospectif joué sur une scène de théâtre et dès lors mis à distance par le prisme du point de vue interne de l’héroïne. Ce dispositif est ingénieux et met en relief les jeux de mensonges qui se jouent tout au long de cette œuvre, Madga dissimulant la vérité de sa condition à Ruggero et, partant, se mentant aussi à elle-même quant à la viabilité de leur relation. C’est Rambaldo qui tire le rideau final : in fine, la cage dont l’hirondelle est prisonnière est autant celle des conventions sociales que de ses propres illusions. Les costumes de Giovanna Fiorentini sont particulièrement réussis : élégants, colorés, ils comportent tous une petite touche d’extravagance qui fait mouche.
La direction musicale de Sergio Alapont est prodigieusement efficace et témoigne à la fois d’un fin travail et d’un amour palpable pour l’œuvre. Les premières mesures sont aussi grandioses qu’attendu, tout comme l’ensemble de l’acte II qui resplendit de mille feux. Le chef laisse l’œuvre respirer, s’autorise des silences signifiants et d’émouvants ralentis. Il peut compter sur l’Orchestre National de Metz Grand Est qui produit un son de grande qualité. Les nuances, tangibles tout au long de l’opéra, traduisent de minutieuses répétitions. Le chœur de l’opéra de l’Eurométropole de Metz se distingue par un bel enthousiasme et une projection de qualité. Le ballet de l’Opéra de l’Eurométropole de Metz propose un délicieux divertissement de guinguette typiquement parisienne au cours de l’acte II.
Le plateau vocal est satisfaisant. Gabrielle Philiponet est une Magda qui monte en puissance tout au long de l’œuvre. Si l’on peut regretter l’absence de pianissimo dans l’air de Doretta, les airs suivants de l’acte I et le quatuor de l’acte II la trouvent pleine d’agilité. Sa présence scénique bouleverse dans le duo « Ma come puoi lasciarmi » de l’acte III : mission accomplie, donc ! Sans surprise, Thomas Bettinger campe un excellent Ruggero. Malgré l’absence de « Parigi » à l’acte I, chacune de ses apparitions est un plaisir. La voix est puissante, volumineuse, dense ; le jeu théâtral du jeune premier lui va très bien. Bravo !
La Lisette de Louise Foor est jubilatoire. Ses impeccables aigus sont à l’image d’un jeu ébouriffant qui sait très bien doser la portée comique du rôle. Christian Collia est un Prunier tout aussi drôle et qu’attachant. L’idée de lui faire jouer les premières notes de l’air de Doretta est excellente, mais le stress prend le pas car le rythme n’est pas tout à fait au rendez-vous ! Le Rambaldo de Jean-Luc Ballestra est ce qu’il faut de strict et de rabat-joie. Les Yvette, Bianca et Suzy d’Apolline Hachler, Lucile Lou et Adélaïde Mansart complètent espièglement cette distribution ! Apolline Hachler est particulièrement solaire et sans aucun doute promise à un bel avenir.
L’Opéra de l’Eurométropole de Metz ne peut qu’être remercié pour la programmation de cette œuvre trop rare. Située à Paris au XIXe siècle dans une ambiance festive avec un passage par la Côte d’Azur, la France aurait une carte à jouer à la représenter plus souvent !