Le fait est suffisamment rare pour être signalé ex abrupto : si le public barcelonais se lève comme un seul homme à l’issue de cette représentation de Madama Butterfly, ce n’est pas pour acclamer une production déjà vue à plusieurs reprises, ni la titulaire du rôle-titre, bien qu’applaudie sans réserve, mais le chef d’orchestre, Paolo Bortolameolli.
Déjà commentée dans nos colonnes, la mise en scène de Moshe Leiser et Patrice Caurier ne s’écarte pas de la ligne tracée par le livret. Peut-il en être autrement ? Madama Butterfly se prête mal à la transposition, la déconstruction ou l’interprétation. Avec pour décor une cloison de paravents dévoilant ou occultant des éléments de paysage, l’approche assume une tradition qui révise l’abécédaire nippon, de kimono à taregami. Scène après scène, se tournent les pages d’un livre d’images dont la dernière émeut plus que les précédentes : la chute automnale des feuilles d’un cerisier qui autrefois fut en fleurs, symbole de désillusion, de tristesse et au-delà de mort.
© David Ruano
En alternance avec Sonya Yoncheva et Ailin Perez, Saioa Hernández ne s’affirme pas au prime abord comme la geisha de quinze ans voulue par le livret. Assise sur un médium cuivré, la voix d’une projection limitée dans le grave, possède trop de corps et insuffisamment de nuances pour donner à saisir l’innocence et la fragilité de la « bimba dagli occhi pieni di malia ». Il faut que Butterfly entame au deuxième et troisième actes son chemin de croix pour que le papillon déploie ses ailes, que les inflexions rejoignent les intentions et que les traits foudroyants de l’aigu hissent la geisha à la hauteur de sa tragédie.
Le timbre de Fabio Sartori n’explique pas la séduction exercée par Pinkerton sur sa jeune épouse mais le ténor a de la puissance, et dans la quinte aiguë, l’arrogance exigée par le rôle – héroïsme qu’il sait tempérer par quelques notes suaves bienvenues dans le duo d’amour.
Teresa Iervolino est idéale de rondeur et de présence en Suzuki. Fatigué, Thomas Mayer effectue la démonstration apagogique que Sharpless, à rebours de certaines idées reçues, réclame largeur et ampleur si le consul veut exister dans les dialogues comme dans les ensembles. Sans démériter, les autres rôles ne possèdent pas l’envergure que l’on pourrait attendre d’une scène comme le Liceu.
La soirée pataugerait donc dans le marigot de la routine si la direction de Paolo Bortolameolli ne l’extirpait de l’ordinaire d’un geste tantôt nerveux, tantôt retenu sans que ces sautes d’humeur n’influe sur la tension dramatique. Le chœur possède une palette supérieure de couleurs et d’intensité qui lui permet sans bouger d’un iota de donner la sensation d’espace et de suggérer à bouche fermée toute la poésie de l’intermède entre le deuxième et le troisième acte. Comme transcendé, l’orchestre du Liceu devient mer scintillante sur laquelle voguent les voix, le pupitre des cordes stimulant le lyrisme éperdu de la partition, les cuivres son éclat et les percussions sa modernité, pour finalement mettre la salle debout.