L’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz nous aura bien gâtée pour ce centenaire de la disparition de Puccini qu’on fête ici dignement. C’est d’ailleurs tout un cycle qui est consacré au compositeur depuis plusieurs années. Après nous être délectée de Madame Butterfly et de La Bohème, c’est au tour de Tosca de nous ravir dans un spectacle qui est la reprise de celui de 2019, à l’époque chroniqué par Yvan Beuvard. La mise en scène originale a été complétée par une nouvelle conception vidéo et une distribution entièrement renouvelée à l’exception du rôle-titre.
Paul-Émile Fourny est décidément très à l’aise avec la dramaturgie exemplaire des opéras de Puccini, tout en y ajoutant quelques ingrédients de son cru qui la mettent encore davantage en valeur. Aidé de Patrick Méeüs dont on salue ici le superbe travail sur les lumières et la scénographie, le metteur en scène concentre l’action sur les protagonistes qui, tous, décèdent de mort violente. Pour ce faire, il épure la scène mais choisit de doubler le quatuor de ce qu’il définit lui-même comme des anges gardiens. Ces entités protectrices sont toutefois totalement dépourvues d’ailes et ressemblent davantage à des revenants tout droit sortis de l’imaginaire d’un cinéphile connaissant ses classiques. Le sol revêtu d’une surface réfléchissante et le mobilier intemporel à tendance Art déco évoquent irrésistiblement certains films d’Alain Resnais ou d’autres esthètes, notamment des années 1980. Les personnages se reflètent à la fois sur le sol et en chair et en os, ce qui non seulement attire l’attention sur eux mais en rehausse le moindre mouvement tout comme les traits de caractère. Tous semblent des pions qui se meuvent sur un échiquier dont la structure serait invisible mais fonctionnerait comme une succession d’engrenages entraînant les protagonistes vers l’issue fatale sans possibilité d’échappatoire. La direction d’acteurs est remarquable de justesse dans l’expressivité de la complexité de l’âme humaine. De plus, comme à son habitude, Paul-Émile Fourny sait à merveille gérer les groupes et le « Te Deum » est particulièrement réussi, absolument grandiose sur la scène du beau théâtre qui paraît ici bien plus grande qu’elle n’est en réalité. Fidèle tant à la pièce de Sardou qu’à l’opéra, la scénographie propose cependant quelques idées qui se démarquent pour mieux sublimer le propos, comme pour le rituel des bougies placées autour du corps de Scarpia ici accompli par le double de Tosca, elle-même déjà enfuie vers son destin. Il en ressort une curieuse sensation de deuil et de solennité. On notera en particulier une idée très intéressante et peu consensuelle : celle de nous montrer Tosca se saisissant du crucifix qui, quand elle l’empoigne, déclenche un mécanisme dévoilant la présence d’un poignard, futur instrument du crime. Une arme cachée dans un crucifix, voilà qui en dit long sur la personnalité de Scarpia. Les autres personnages sont également caractérisés par des postures, tics ou d’infimes détails d’une théâtralité réaliste, voire naturaliste. On associe immédiatement les costumes au style Empire, mais avec un filtre contemporain, comme en lieu et place de la culotte moulante, ce pantalon en cuir d’un Scarpia à la limite du bondage, toutefois sexy en diable. Les costumes de Giovanna Fiorentini font ainsi merveille et les projections vidéo de Julien Soulier sont bluffantes, en particulièrement pour la scène finale, où le spectateur saute dans le vide avec Tosca.
L’œil est à la fête et le cœur bat en mesure avec les personnages… Mais qu’en est-il de l’oreille ? Le constat est ici un peu plus nuancé. Certes, Aquiles Machado connaît son Puccini sur le bout des doigts, mais la voix est déformée par un vibrato plus que gênant dès les premières interventions de Cavaradossi. Heureusement, la ligne de chant est belle et la caractérisation de plus en plus intense et émouvante, mais le vibrato demeure. Merveilleuse Floria Tosca, Francesca Tiburzi incarne une authentique diva aux multiples facettes avec un égal bonheur dans tous les registres. Tant l’actrice que la chanteuse témoignent d’une force de caractère doublée d’une très grande autorité. Intensément amoureuse et jalouse, profondément meurtrie et poussée dans ses retranchements, cette Tosca nous convainc et son « Mario » ultime nous transporte et nous fait fondre. Odieux et pervers à souhait, le Scarpia de Devid Cecconi est mieux que convaincant. On adore détester ce personnage haut en couleur. La voix, sensuelle et impérieuse, convient idéalement au rôle, notamment pour un impressionnant « Tre sbirri, una carrozza… ». À peine découvert le superbe Angelotti de Joé Bertili que déjà il disparaît. Dommage, d’autant que la voix est enchanteresse. On se régale également de la vis comica du sacristain interprété par un Olivier Lagarde très à l’aise. Les autres comparses sont impeccables et contribuent à la grande qualité générale du spectacle. Parce que nos jeunes chanteurs le valent bien et qu’on leur souhaite de faire carrière, louons également le Chœur d’enfants, très professionnel et convaincant, secondé avec force par le Chœur de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz. Sous la direction inspirée et précise de Nir Kabaretti, l’Orchestre National de Metz donne son meilleur.
Parmi les plus belles mises en scène de Tosca, celle-ci occupe une place de choix. On ne peut que souhaiter qu’elle soit à nouveau reprise. En attendant, l’hommage à Puccini se poursuit à Metz avec la Messa di Gloria le vendredi 29 novembre prochain dans la très belle cathédrale de Metz.