Cavaradossi cinéaste ? Pourquoi pas, cela reste un artiste et quitte à transposer au XXe siècle, un réalisateur incarnera plus cette époque auprès du public qu’un peintre. Oui mais, une fois encore le texte se venge, surtout à l’acte I où il est constamment question du tableau de la madone dans les traits de laquelle Tosca croit reconnaitre une rivale et devant laquelle elle priera. Il a donc fallu disposer une statue de la Vierge dans le fatras du plateau, et la peinture revient sur scène via de l’action painting à la Yves Klein, alors que le cinéaste était censé être Pasolini, puisque c’est sur le tournage de Salò que le rideau s’ouvre, vous suivez ? Cette mise en scène de Kornél Mundruczó, non recommandée aux moins de 16 ans, est un bel exemple de concept bancal et mal exécuté. L’attention du spectateur est parasitée par les correspondances constantes qui doivent se faire à l’acte I. Il n’y a guère que la malle qui cache Angelotti (au lieu de la chapelle) qui s’insère bien dans le propos. Angelotti, qui devient d’ailleurs membre des Brigades Rouges. Certes on comprends alors pourquoi le sacristain parle de « chiens de voltairiens », mais vous serez donc heureux d’apprendre que Pasolini a protégé les Brigades Rouges et que la police de la Démocratie Chrétienne l’a persécuté pour ça. Dans la réalité, on soupçonne plutôt la mafia de l’avoir fait assassiner. Et pourquoi choisir le tournage de ce film en particulier ? Les fascistes travestis passent ici pour des représentants de la communauté queer molestés par la police. Le metteur en scène a-t-il simplement conscience du sens des images qu’il manipule ? À en juger par la scène de Mamma Roma qu’il projette au début de l’acte III, non. Et avant de montrer la salle de torture à l’acte II, il aurait dû se rappeler le dernier cercle de Salò, où les tortures sont justement cachées, pour renforcer leur violence. A vouloir tout montrer, on sombre dans le grand guignol et on espère que le public confondra ces litres de peinture avec de l’hémoglobine (retentissant « spouach » pendant le saut de Tosca, qui s’est manifestement écrasée sur le pavé au lieu de se noyer dans le Tibre). Dommage aussi que la direction d’acteurs se soit limitée à régler des déplacements (parfois maladroitement, comme ces tours et détours dans la dernière scène qui forcent l’orchestre à ralentir au moment le plus dramatique !) : festival de poses convenues et de gestuelle stéréotypée. Quelques réussites tout de même comme cet espace de salon qui diminue fortement le cadre de scène et rends la promiscuité entre Tosca et Scarpia plus étouffante encore, surtout lorsqu’elle se déshabille pendant la rédaction du laissez-passer. Au point qu’après le meurtre, la chanteuse passera sur le plateau nu, accompagnée des autres victimes de viol de Scarpia, la nuisette tachée au niveau du sexe. Si l’on regrette de retrouver le même décor au dernier acte qu’au premier, la projection des films de Pasolini pendant le grand air de Mario, ou la porte ouverte sur la mer lors du duo, offrent de beaux moments de poésie.
© Wilfried Hoesl
Pour une soirée de prestige, on est également déçus par le versant musical. Les seconds rôles sont efficaces, tout comme la direction attentive quoique peu saillante d’Andrea Battistoni, mais Ludovic Tézier est en petite forme. Toujours aussi bon acteur et joueur avec son texte (cet « eh ben ? » libidinal et tremblotant), il n’a pas ce soir la puissance requise pour impressionner dans le Te Deum et faire de ce méchant univoque le diable attendu. Jonas Kaufmann n’a plus l’émission à la fois précise (beaucoup d’attaques par en dessous) et suave qui a fait son succès. Il conserve une intelligence rare et des mezza voce envoutantes sur « E lucevan le stelle », toutefois ses forte manquent d’assurance (accident vocal sur « Parlami ancor »), et pour un « Vittoria » percutant, le reste du couplet est chanté en sourdine. Ajoutez une couverture vocale de plus en plus épaisse, et Mario est un poète torturé mais sans éclat. Reste donc la très belle Tosca d’Eleonora Buratto, aux accents puissants et contrôlés, capable de s’emporter comme de minauder, et ce sur une large tessiture. Davantage Tebaldi que Callas, Loren que Magnani, mais devant tant de qualités, oublions les références.