Ainsi que Jean-Louis Grinda l’avait annoncé lors de la présentation à la presse de l’édition 2024 des Chorégies d’Orange, cette année serait une année de transition avec un seul opéra donné en version de concert, avant le retour à la normale dès 2025 avec deux opéras représentés par an. Les fidèles du lieu ont néanmoins répondu présent puisque c’est devant un Théâtre Antique comble que s’est jouée La Tosca choisie par les organisateurs en hommage à Puccini dont on commémore le centième anniversaire de la mort.
En réalité, plus qu’à une version de concert, c’est à une mise en espace que nous avons assisté, les interprètes ne s’étant pas contentés de chanter leur partie à l’avant-scène, ils ont joué leurs rôles comme lors d’une représentation normale avec tant de conviction que les spectateurs, captivés par le drame, ont fini par en oublier l’absence de décors. A chaque acte une image géante était projetée sur le mur, un portrait de sainte, sans doute Marie-Madeleine, au premier acte, le tableau Diane et Callisto du Titien au deuxième et une vue du château Saint-Ange au dernier.
Le Mistral s’est également invité à la fête, soufflant par rafales à intervalles réguliers sans pour autant déconcentrer les chanteurs.
Choisis avec soin, les seconds rôles étaient tous remarquablement tenus. Citons la délicieuse Galia Bakalov, berger au timbre clair et Jean-Marie Delpas convaincant dans son double emploi, Sciarrone ombrageux à souhait et geôlier empli de compassion. La voix sonore de Carlos Natale lui permet d’incarner un Spoleta qui marque les esprits tandis que Marc Barrard campe un sacristain efficace et sérieux, dépourvu cependant de la truculence inhérente à ce personnage. Bryn Terfel compense avantageusement une usure vocale désormais perceptible par une incarnation magistrale et subtile. Son Scarpia domine le plateau de sa présence inquiétante. Il ponctue certaines de ses répliques de rires démoniaques sans sombrer un seul instant dans la caricature du « méchant » de service. Sa grande scène de l’acte deux face à Aleksandra Kurzak est un grand moment de théâtre. Entièrement vêtu de noir, Roberto Alagna promène avec aisance sa silhouette juvénile sur le grand plateau du Théâtre Antique. Il connait sur le bout des doigts toutes les facettes de Cavaradossi qu’il a incarné sur les plus grandes scènes, et même au cinéma. Aujourd’hui, le ténor possède un medium puissant et riche en harmoniques qui confère davantage d’impact dramatique à son personnage, et si son aigu plafonne quelque peu au premier acte, ses « Vittoria ! Vittoria ! » percutants au deux déchaînent l’enthousiasme du public. C’est du fond de la scène qu’il interprète un « E lucevan le stelle » poignant et nuancé salué par une longue ovation. A l’applaudimètre c’est Aleksandra Kurzak qui remporte la palme. Vêtue d’une robe printanière de couleur claire au premier acte, puis d’une robe de soirée noire à paillettes aux actes suivants, la cantatrice offre une voix ronde et pleine, un timbre soyeux sur toute la tessiture et un aigu lumineux, comme en témoigne son contre-ut impeccable dans la phrase « Quella lama gli piantai nel cor ». Durant sa prière de toute beauté, chantée avec émotion et une résignation contenue, un silence recueilli s’installe, même le Mistral retient son souffle pendant cet instant magique qui s’achève sur une superbe mezza-voce flottante. Cette Tosca proche de l’idéal sait éviter avec brio les embûches de sa partie, ainsi la scène où elle tue Scarpia, impressionnante de réalisme, ne sombre jamais dans l’hystérie et lorsqu’elle découvre que son amant est mort au dernier acte, la douleur lui arrache des cris plaintifs et désespérés dépourvus d’excès grandiloquents.
Belle prestation des Chœurs des Opéras Grand Avignon et des Chorégies d’Orange, préparés par Stefano Visconti, qui ont offert un Te Deum grandiose à la fin du premier acte.
Clelia Cafiero parvient à tirer le meilleur de l’Orchestre philharmonique de Nice en petite forme, dont on passera sous silence les quelques fausses notes dans le pupitre des cordes. En grande admiratrice de Puccini, la cheffe italienne, habituée de l’œuvre qu’elle a dirigée à de nombreuses reprises cette saison, propose une battue tonique qui exalte l’aspect théâtral de la partition tout en demeurant attentive aux chanteurs. De la belle ouvrage, en somme.