Ce samedi 24 août marque le premier jour de la 13e édition du festival « Dans les jardins de William Christie » à Thiré, en Vendée. Si les organisateurs sont confiants dans la mesure où le chiffre de quelque dix mille spectateurs de l’année passée va être à peu près égalé, une légère inquiétude tempère l’excitation des retrouvailles, car la météo est incertaine. Une ondée est prévue pour le milieu de l’après-midi et l’on ne sait pas trop s’il va falloir, ou non, se replier dans les emplacements prévus pour le « Plan pluie », consistant en tentes disposées dans différents points du jardin.
En attendant, les activités habituelles font le plein. Dès l’ouverture au public en tout début d’après-midi, on a l’embarras du choix entre des activités en famille de chant participatif, de danse baroque ou autres animations bucoliques et intellectuelles, sans oublier la visite guidée à la découverte du jardin éclectique rêvé et élaboré au fil des années par William Christie, entre le théâtre de verdure, la cour d’honneur, le potager, le cloître, la serre, la pinède, le grand parterre et l’on en oublie quelques-uns, d’autant qu’il y a des nouveautés chaque année. Tant et si bien qu’à l’heure du goûter où commencent les mini-concerts répartis aux quatre coins du jardin, tout le monde est déjà sous le charme et totalement immergé dans une ambiance à la fois festive, ludique, sympathique et solennelle, tout à fait dans l’esprit du monde baroque.
Après le premier quatuor dans la Pinède, en compagnie de Vivaldi et Telemann, on continue au niveau du mur des Cyclopes, l’un des lieux les plus sauvages des jardins, avec un concert dédié à Purcell. Paul Agnew y interprète des œuvres du compositeur anglais, alors que l’académicien Erik Orsenna lit avec brio des textes illustrant sa courte vie bien remplie. Las, il pluviote, et deux parapluies sont apportés pour protéger le théorbe du jeune Gabriel Rignol ainsi que le violoncelle de Felix Knecht. Détail charmant, c’est le ténor écossais Paul Agnew qui tient le parapluie au-dessus de l’instrument alors qu’il chante, tête nue, sous la pluie, avec un flegme tout britannique et l’humour coutumier de celui qui est également co-directeur artistique du festival. Personne ne songe à se mettre à l’abri, surtout quand il susurre, concurrencé par le jars qu’on imagine évoluer, un peu plus loin, sur la rivière Smagne, l’ineffable « Music for a while ». La magie opère. Quelques minutes plus tard, on découvre, sous la tente du Pont chinois, accompagnés au théorbe toujours par Gabriel Rignol, un couple idéal : la soprano Violaine Le Chenadec et Adrien Mabire au cornet à bouquin. Les concerts étant propices à la transmission et à la pédagogie, Adrien Mabire nous parle de son instrument, très populaire et primordial à une époque, bien délaissé aujourd’hui, qui se situe entre la flûte et la trompette. De Monteverdi à Frescobaldi, en passant par Palestrina et Bassano, le programme intitulé « Gli spiriti del giardino » fascine les auditeurs, l’oreille intriguée par ces rares sonorités, merveilleusement mises en valeur par le timbre pur et plein de Violaine Le Chenadec. On se réjouit de savoir qu’on pourra à nouveau entendre le trio le lendemain. Le crachin n’est plus qu’un mauvais souvenir et quelques temps plus tard, le programme de l’après-midi se conclut avec un concerto Brandebourgeois sur les Terrasses, juste derrière le Bâtiment, la maison de William Christie, juste avant le dîner. Heureusement, la pluie a cessé et il ne sera pas nécessaire de se transférer dans la salle de repli située à une demi-heure de route de Thiré.
Le beau temps revenu, c’est bien sur la scène flottante du superbe Miroir d’eau que s’installe l’ensemble instrumental des Arts Florissants accompagnés par des jeunes instrumentistes de la très prestigieuse Juilliard School, sous la direction de William Christie, également au clavecin et à l’orgue pour le continuo. Afin de compléter Dido and Aeneas, qui ne comporte qu’une heure de musique, l’ode de Purcell, Celestial music did the Gods inspire, est proposée en introduction. Le vent souffle fort et les platanes ainsi que les charmes qui bordent le plan d’eau bruissent tumultueusement. Cela ne suffit pas à nous empêcher de profiter de toutes les nuances délicates du chef-d’œuvre de Purcell. La scène est sonorisée, c’est-à-dire qu’un dispositif de micros permet de rendre le son audible pour tous, avec un rendu très naturel. Helen Charlston est lauréate du Jardin des Voix, la fameuse pépinière de nouveaux talents instaurée par le maître. La mezzo-soprano incarne une Didon aristocratique et passionnée, toute de retenue et de subtilités infinies que son beau mezzo lui permet. Alors que le vent s’est calmé, des oiseaux accompagnent de leur chant inquiet la jeune anglaise, sublime dans une mort déchirante et noble. Un moment d’anthologie pour ce festival… Renato Dolcini, l’interprète d’Énée, est lui aussi lauréat du Jardin des Voix. La rencontre vocale avec sa partenaire est passionnante : tous deux forment un couple idéal qu’on prend plaisir à entendre et à voir déambuler, main dans la main, le long des berges du plan d’eau, dans un tableau féerique alors que la nuit tombe. Si l’opéra est donné en version de concert, il est toutefois mis en mouvement par Sophie Daneman, la soprano également metteure en scène et pédagogue enthousiaste qui propose cette année dans les jardins un atelier de chant participatif justement consacré au chant des oiseaux. Son travail discret et sobre met en valeur les ensembles, tout en harmonie et en délicatesse. C’est avec la complicité de William Christie qu’elle a eu l’idée de donner deux rôles à Renato Dolcini : ce dernier incarne le prince troyen tout comme la Grande Sorcière. Après tout, l’un comme l’autre poursuivent le même but : se débarrasser de Didon pour permettre le départ d’Énée vers son destin de fondateur de Rome. Le procédé, surprenant, n’est cependant pas gênant et donne la possibilité au baryton italien de démontrer l’étendue de son talent, conférant de l’épaisseur à ses deux rôles. Mais il est une interprète qui nous a séduit tout particulièrement : Ana Vieira Leite, également lauréate du Jardin des Voix, est une Belinda absolument délicieuse. La soprano portugaise oscille entre des aigus cristallins très purs et une sorte de joie débordante et communicative qui magnifient le timbre. Les sorcières incarnées par Maud Gnidzaz et Virginie Thomas sont excellentes et les autres personnages complètent une distribution de haut vol. La virtuosité des musiciens achève de ciseler une œuvre d’excellente facture, dans un cadre enchanteur et idyllique. William Christie, qui va bientôt fêter ses quatre-vingts printemps, affectionne tout particulièrement cette œuvre : sa connaissance intime de l’ouvrage si souvent abordé semble avoir touché toute l’équipe et le résultat nous comble. Pour prolonger la féerie, les jardins sont savamment éclairés et il est permis au public d’y déambuler. C’est peu dire que nous sommes chanceux…