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PURCELL, Didon et Enée – La Chaise-Dieu

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Spectacle
26 août 2024
Mélange des genres

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en trois actes (Chelsea, 1689?)
Musique d’Henry Purcell
Livret de Nahum Tate

 

Détails

Didon
Adèle Charvet

Belinda 
Ana Quintans

Enée 
Jean-Christophe Lanièce

La magicienne / un marin 
Igor Bouin

Première sorcière 
Caroline Meng

Seconde sorcière 
Anouck Defontenay

Un esprit 
Fernando Escalona-Melendez

Seconde dame 
Marie Théoleyre

Le Poème Harmonique

Direction musicale
Vincent Dumestre

 

 

Le concert d’ouverture du festival 2024 marquait le retour de Vincent Dumestre et du Poème Harmonique à la Chaise-Dieu après plusieurs années d’absence, pour un Didon et Énée donnée dans une version de concert accompagnée de jeux de scène et d’éclairage. Cette version marquait la prise de rôle, dans le rôle de Didon, de celle que le dossier de presse présentait comme « la merveilleuse Adèle Charvet », autour de qui s’est concentrée une importante campagne promotionnelle. Un tel battage médiatique avait de quoi agacer et inciter à scruter la performance de la jeune mezzo-soprano d’un œil et d’une oreille critiques particulièrement affûtés. Las : merveilleuse, Adèle Charvet le fut, amenant les larmes aux yeux du public dès son premier « Ah Belinda ». Chaque note, chaque inflexion frémissait d’espérance, d’orgueil blessé ou de désespoir, jusqu’à un lamento final bouleversant, malgré, peut-être, une ornementation quelque peu excessive. La tessiture du rôle lui convient parfaitement et donne à entendre un médium large et charnel, un grave solide et un aigu très riche, avec une belle homogénéité, qui se projette du pianissimo le plus intense à des forte parfaitement dosés et déchirants, le tout dans un anglais d’excellente facture. Ajoutons à cela que sa prestance majestueuse était digne de la reine qu’elle incarnait ce soir-là, et qu’espérons-le elle pourra donner à entendre sur d’autres scènes, tant cette prise de rôle était réussie. Contrat plus que rempli donc pour la star de la soirée.

Autour d’elle, la Belinda d’Ana Quintans se distingue par son charme. La soprano portugaise, familière de ce rôle de confidente entremetteuse, l’incarne avec un abattage savoureux et une voix tout aussi exquise. Dans un anglais parfait, elle donne à entendre un beau soprano moelleux, puissant et généreux, vocalisant avec entrain et précision dans un « Haste, haste to town » particulièrement entraînant. Marie Théoleyre incarne avec brio la deuxième dame, que ce soit en duo avec Ana Quintans ou dans son ravissant solo de l’acte II, scène II. Dans le rôle plutôt ingrat d’Enée, le baryton Jean-Christophe Lanièce s’en sort bien ; il parvient à rendre émouvant ce personnage falot et lui confère une dignité qu’il n’a pas toujours, grâce à une belle présence scénique et à un timbre empreint de noblesse, notamment dans son récitatif de l’acte II.

Au trio d’aristocrates répondait des sorcières résolument tournées du côté de la comédie. Le plaisir visible qu’éprouvaient Caroline Meng et Anouck Defontenay à jouer les « méchantes », avec une complicité réjouissante, compensait le déséquilibre de leur duo, l’aigu rayonnant de la première écrasant le medium plus sombre de la seconde. Le baryton Igor Bouin, qui a également assuré le solo de ténor du marin au début de l’acte III, a proposé une magicienne burlesque plutôt convaincante. Confier ce personnage maléfique à un homme dans un registre grave était un choix intéressant, qui pouvait paraître surprenant (la magicienne a été souvent chantée ces dernières années par des contre-ténors comme Dominique Visse ou Damien Guillon, dont les interprétations ont marqué le rôle) mais qui fut adopté par Trevor Pinnock et par Christopher Hogwood dans leurs enregistrements ; après tout, les sorcières, particulièrement anglaises, sont des êtres éminemment hybrides, femmes à barbe dans Macbeth par exemple. Si le registre de contre-ténor peut permettre d’apporter une touche inquiétante au personnage quand les chanteurs accentuent la dimension quasiment surnaturelle de leur voix, l’enchanteresse d’Igor Bouin, qui crie parfois au lieu de chanter, appartient tout entière au registre de la bouffonnerie, avec force gesticulations – et après tout, pourquoi pas. Le frisson était à chercher du côté de l’esprit qui enjoint à Énée de quitter Carthage, magistralement interprété par le contre-ténor Fernando Escalona-Melandez, placé en hauteur derrière le chœur, dans le faisceau d’une lumière quasiment infernale. D’autres effets de lumière parent l’abbatiale Saint-Robert d’un rouge diabolique pour marquer l’arrivée des sorcières ou de la tempête.

Avec ses pupitres parfaitement équilibrés, le chœur préparé par Jean-Sébastien Beauvais a montré de très belles couleurs et un grand souci des nuances, dans un anglais globalement satisfaisant (les diphtongues ne sont pas toujours réalisées, comme sur « most », et les plosives et les dentales initiales manquent de mordant, mais il s’agit là d’un défaut récurrent pour les chœurs francophones). Dans le chœur des sorcières, il devient personnage à part entière et complète la magicienne et son duo d’acolytes ; les choristes s’en donnent à cœur joie dans la comédie, allant même jusqu’à chanter sur le devant de la scène, donc sans voir le chef, pour une dernière intervention dans un tempo effréné (« Destruction’s our delight »), ce qui a occasionné une certaine fébrilité. Commentateur de l’action à la fin de l’œuvre, il a prolongé la mort de Didon d’un magnifique « With drooping wings » d’une grande tendresse élégiaque soulignée par l’allongement de certains silences, avec des soupirs transformés en demi-pause après « never ».

Il s’agit là d’une des nombreuses libertés prises par rapport à la partition de l’unique opéra de Purcell, telle qu’elle est souvent présentée. Il y en a bien d’autres : longueur de notes changée, reprises ajoutées, instrumentation modifiée avec par exemple l’ajout de flûtes à bec ou – plus étonnant – de castagnettes. Le mystère entourant toujours l’œuvre, les circonstances de sa composition et de sa création, l’absence de version définitive de la partition permettent aux interprètes de s’en emparer, ce qu’a fait magistralement Vincent Dumestre, suivi par un Poème Harmonique en parfaite osmose avec son chef. Ils ont proposé de l’œuvre une vision qui en accentue les contrastes, à l’image d’une ouverture qui fait se succéder une lenteur mélancolique et des mouvements beaucoup plus nerveux annonçant les danses endiablées, aux accents méditerranéens, qui ponctueront la suite. Vincent Dumestre donne en effet souvent à l’Anglais Purcell un côté espagnol, voire sud-américain, qui fonctionne étonnamment bien si l’on ne se soucie pas trop de cohérence ; ainsi avec les fameuses castagnettes maniées avec jubilation par un Sylvain Fabre très sollicité, sur scène (castagnettes, tambours) comme en coulisses (tonnerre). Un trio de guitares baroques accompagnées d’un violoncelle jouant en pizzicato a même été propulsé sur le devant de la scène en introduction de « To the hills and the vales » à la fin de l’acte I, évoquant des mariachis (tous ne paraissaient pas ravis d’être là).

Dommage qu’un entracte soit intervenu après une quarantaine de minutes, au milieu de l’acte II. S’il a permis à la soirée de ne pas se terminer trop tôt (Vincent Dumestre a souligné la difficulté de trouver un bis pertinent, avant de proposer au chœur et aux solistes de chanter « Hear my prayer » a cappella), il a interrompu la progression dramatique de l’œuvre. On peut préférer des interprétations qui soulignent au contraire la cohérence et l’unité de celle-ci, avec notamment deux trios féminins, opposant à Didon et ses deux dames la magicienne et ses deux sorcières, aux registres comparables, et confrontant plus subtilement le monde des sorcières et celui de Carthage, mais le choix opéré par Vincent Dumestre d’accentuer les contrastes, au prix peut-être d’un certain éclatement, permet d’aborder Didon et Énée sous un jour intéressant, avec une vision magnifiquement servie par des interprètes inspirés.

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Ana Quintans

Enée 
Jean-Christophe Lanièce

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