Giuseppe VERDI (1813-1901)
Falstaff
Comédie lyrique en trois actes
Livret d’Arrigo Boito d’après William Shakespeare
Production de l’Opéra de Bordeaux
Mise en scène et lumières, Ivo Guerra
Réalisation de la mise en scène, Johannes Haider
Réalisation des lumières, Marc-antoine Vellutini
Décors, Michele Della Cioppa
Costumes, Ida Meo
Falstaff : Alberto Mastromarino
Alice Ford : Adina Aaron
Nanetta : Ariana Kurteshi
Quickly : Eugénie Grunewald
Meg : Alexandra Barac
Fenton : Paolo Fanale
Ford : Gianpiero Ruggieri
Caïus : Riccardo Cassinelli
Pistola : Eric Martin-Bonnet
Bardolfo : Thomas Morris
Orchestre de l’Opéra de Toulon Provence Méditerranée
Chœur de l’Opéra de Toulon Provence Méditerranée
Chef de choeur, Catherine Alligon
Direction musicale, Giuliano Carella
Toulon, le 13 octobre 2009
Quand le courant passe mal
La nouvelle saison de l’Opéra de Toulon s’ouvre, cette année encore, par un Verdi. Mais au Rigoletto bien-aimé des inconditionnels des grands airs succède l’œuvre par laquelle Verdi au seuil de ses quatre-vingts ans porte à son terme une évolution musicale qui l’affranchit de la manière qui avait fait sa gloire. D’après le commentaires entendus à l’entracte, ce Falstaff jamais représenté in loco – sauf erreur de notre part – déconcerte, mais la salle est pleine et au finale, fait un triomphe aux participants.
D’où vient alors que nous ne partageons pas cet enthousiasme ? La conception scénique de Johannes Haider est classique, fonctionnelle et élégante ; un pilier central supporte une charpente de bois passablement mal en point, qui surplombe un espace divisé en deux plans. Les protagonistes occupent le premier, du centre à l’avant-scène. Au second la figuration mime successivement la fenaison au premier tableau et la lessive au deuxième tableau du premier acte, ou le repas des travailleurs au premier tableau du deuxième acte (sur fond de gerbiers), créant une animation à nos yeux inutile pour ne pas dire importune. Des précipités entre chaque tableau permettent aux machinistes de transformer – peu discrètement – l’auberge décatie ouverte aux quatre vents en cour de la maison Ford et vice versa, et finalement en forêt de Windsor, le pilier servant de support à l’arbre du rendez-vous, près duquel s’élève un gibet.
Dans ce décor ouvert sur le ciel à l’arrière plan, la lumière a un important rôle à jouer et souvent le joue bien. On n’en remarque que davantage certaines incongruités. Pourquoi, alors que ce décor et les costumes indiquent un parti pris de réalisme dépourvu de fantaisie – pas une manchette de dentelle, pas un crevé, pas une coiffure ne manquent à l’appel – cet éclairage crépusculaire lorsque Quickly révèle qu’Alice est disponible « dalle due alle tre » ? L’arrivée de Ford, son marché avec Falstaff, les frais de toilettes de ce dernier, il y a tout un enchaînement temporel que cette lumière néglige. De même, dans ce décor ouvert, le jeu de scène par lequel leur entretien se termine (après vous, je n’en ferai rien, et la sortie simultanée) perd son pouvoir comique.
En fait, alors que Falstaff agit sur nous comme une batterie sur une pile, cette représentation ne nous charge pas d’énergie, parce qu’elle ne nous en communique pas. A quoi cela tient-il ? Pourquoi ce Falstaff, très convaincant vocalement, semble-t-il manquer de la désinvolture et du brio qui doit le caractériser ? Le trio des commères semble lui aussi à la limite de la contrainte, ce qui retentit probablement sur leur chant quand leurs moyens ne sont pas ou ne sont plus exactement ceux du rôle. Pourquoi les ensembles du deuxième tableau de l’acte II semblent-ils peu précis ? Manque de répétitions ? On s’interroge encore sur l’orchestre, sur la direction si peu exaltante de Giuliano Carella jusqu’à l’entracte, alors que les deux derniers tableaux seront parfaitement réussis. La préparation musicale a-t-elle été suffisante ?
Quoi qu’il en soit, si les voix féminines ne séduisent qu’à moitié, avec une Meg (Alexandra Barac) peu marquante, une Nanetta (Ariana Kurteshi) gracieuse mais aux aigus parfois acidulés, une Quickly (Eugénie Grunewald) souvent à la limite du cri dans les passages syllabés aigus et qui poitrine excessivement, et une Alice (Adina Aaron) globalement correcte bien que manquant de souplesse, les chanteurs s’en tirent mieux. Certes le Ford de Gianpiero Ruggieri est lui aussi comme sur la défensive, mais il a les moyens du rôle, comme Paolo Fanale, qui possède ceux de Fenton et devrait éviter de charger car sa voix passe très bien. L’inusable Riccardo Cassinelli n’est pas toujours loin du glapissement, mais Caius, après tout, n’est pas de la première fraîcheur. Des rôles secondaires de Bardolfo et Pistola, Thomas Morris et Eric Martin-Bonnet – ce dernier particulièrement en vraie bête de scène – tirent toute la substance vocale et comique.
Reste Alberto Mastromarino ; avec son physique solide et sa voix imposante et étendue, il a tous les prérequis du rôle titre. Pourquoi sa prestation manque-t-elle de brillant ? Probablement une tension perceptible qui l’empêche de se libérer et de donner au Pancione toute la jovialité communicative dont il donne la preuve au final de l’opéra. Il remporte en tout cas un beau succès, comme du reste tous les participants, y compris le chœur malgré la modestie de ses interventions. La représentation nous a frustré ? Elle a permis à un public qui, pour beaucoup, ne connaissait pas l’œuvre de la découvrir et de l’apprécier. N’est-ce pas l’essentiel ?
Maurice Salles