Covent Garden termine une brillante saison par un véritable feu d’artifice de stars (avec notamment Simon Keenlyside en Macbeth et Joyce DiDonato en Cendrillon) et un bouquet final de deux représentations de Tosca réunissant un quatuor comme on n’en a plus l’occasion d’en voir souvent : 3 stars du chant (dont 2 qui ne chantent que rarement hors de Covent Garden) et un chef charismatique.
Premier à l’applaudimètre, le régional de l’étape, Bryn Terfel, campe un Scarpia tout en violence et en noirceur. Aucune noblesse chez ce baron, qui se permet même un « coup de boule » pour faire cesser les appels révolutionnaires de Mario. Sale et assez repoussant, le chanteur gallois multiplie les regards pervers. La composition est efficace, mais il ne peut s’empêcher d’en faire un peu trop, frisant la caricature d’un méchant de film muet (à tel point qu’une spectatrice ne peut retenir un éclat de rire). Comme toujours, l’artiste apporte une attention particulière aux mots, mais il n’arrive pas à dissimuler les difficultés que lui pose un rôle trop aigu pour lui. Ainsi, les « Mia ! » du duo avec Tosca sont hors d’atteinte, les premières notes s’étranglant dans une espèce de vocifération histrionique, avant que l’artiste n’en soit réduit à transposer les « Sì, t’avrò! » qui suivent. Difficile d’accuser une méforme passagère puisque le subterfuge était le même à New-York en avril dernier. Reste une caractérisation saisissante de véritable psychopathe qui, malgré des insuffisances vocales, pourrait emporter l’adhésion si tout le plateau était à ce niveau d’incandescence.
Second selon le « vote du public », Jonas Kaufmann propose des qualités exactement inverses : un physique de jeune premier romantique, mais un personnage un peu falot dont le seul jeu de scène se limite souvent à lever les yeux au ciel en remuant la tête avec un air blasé. Tout est dans le chant, le ténor allemand renouvelant les exploits de son Maurizio un peu plus tôt dans la saison (cf. notre compte-rendu) : une incroyable gestion du souffle, un art de la demi-teinte (le début de « E lucevan le stelle ») contrebalancé par un chant viril assumé (un « Vittoria » d’anthologie)… C’est absolument remarquable ! Et au-delà de ces performances purement techniques, une authentique poésie.
Angela Gheorghiu offre le moins bon de ces deux mondes. Vocalement, le soprano, comme galvanisé par la présence de ses partenaires (et sans doute rassuré par la perspective de se limiter à deux soirées toutes les deux enregistrées pour un futur DVD) donne bien plus que dans l’Adriana précitée. Les aigus rayonnent avec intensité, la voix est étonnamment fraiche, dépourvu de vibrato excessif. Mais le medium est souvent d’une largeur insuffisante, parfois noyé sous les décibels, et le grave hors d’atteinte. Ainsi, contrairement à Terfel, c’est vers l’aigu que certaines phrases sont transposées. Scéniquement, le personnage n’est pas vraiment crédible : une sorte de Marguerite de Faust, avec des minauderies de stars du muet, mais avec l’avantage sur ces dernières d’un timbre d’une qualité unique qui fait toute la différence avec certains sopranos peut-être plus adéquats stylistiquement, mais à la voix moins immédiatement reconnaissable.
Les seconds rôles sont tous excellents, à l’exception notable du jeune berger dont nous tairons le nom : à ce niveau de fausseté et de mal canto, une seule sanction : au lit sans souper et plus de télé ni de jeux vidéo pendant un mois.
Mais malgré ces réserves, on ne peut pas sortir indemne d’une telle représentation. D’abord à cause d’une mise en scène très efficace, très théâtrale, parfaitement cohérente dans sa noirceur, même si l’on imagine davantage ce baron à la tête des « colonnes infernales » que courbant la tête devant la reine de Naples comme dans la tragédie de Victorien Sardou. Aucune chute de tension dans cette irrésistible course à la mort. Ensuite et surtout grâce à la direction précise et violente elle aussi, d’Antonio Pappano, véritable maître d’œuvre de la soirée. C’est finalement au contact des ouvrages les plus éculés que l’on peut reconnaitre le génie d’un grand chef : ici, l’orchestration ressort comme jamais, la tension ne faiblit pas, et le chef américain réussit à construire une unité sur un attelage a priori disparate de stars aux fortes personnalités.
Au global, une Tosca électrisante comme un film d’action, mais qui ne fait pas verser une larme : un mélodrame davantage drame que mélo, en quelque sorte.