On ne peut que se réjouir du retour de la célèbre batracienne sur la scène de l’Opéra Garnier. Créé il y a dix ans, le spectacle n’a pas pris une ride. Chorégraphies démentielles, musique à couper le souffle et décors grandioses, tous les ingrédients sont réunis pour une soirée d’exception. Le DVD paru en 2002 donnait déjà un avant-goût très prometteur, mais il n’empêche qu’il faut courir voir le spectacle en live qui prend alors un tout autre relief, et ce rien que pour le rôle-titre. Même si la fin tragique de l’opéra tombe tel un amer couperet, on retient l’image d’un spectacle haut en couleurs où chacun sautille, s’amuse et coasse.
Tout d’abord, la distribution vocale est de grande qualité du plus petit au plus grand rôle. Tous, y compris l’Ecossais Paul Agnew, ont une très bonne diction ce qui n’est pas négligeable pour un public français qui peut alors suivre les subtilités du texte sans avoir recours au surtitrage. Paul Agnew, paré d’un splendide costume, livre une prestation époustouflante. Il s’est complètement imprégné du rôle et fait de Platée un personnage à la fois gauche, impatient, prétentieux et finalement humilié. C’est grâce à une gestuelle et une interprétation vocale remarquables qu’il parvient à traduire cette large palette d’expressions. Quant à Mireille Delunsch, elle embrase la salle qui exulte littéralement après son air virtuose « Aux langueurs d’Apollon ». Le jeu est d’une grande justesse et la cantatrice tout à fait à l’aise dans ce registre. Yann Beuron, au look de rocker argenté de la tête aux pieds, affiche le même naturel. La voix est belle, souple, l’émission claire et la diction parfaite. Le Momus du baryton Aimery Lefèvre, ancien élève de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, est très convaincant et railleur à souhait. De même le son ample de la basse François Lis illustre à merveille le statut viril et impérieux du maître des cieux. Le seul bémol serait le Thespis de Xavier Mas qui ne semble pas toujours à l’aise dans les passages vocalisants de l’ariette « Charmant Bacchus ».
Marc Minkowski, toujours très à l’écoute de ce qui se passe sur scène, fait preuve d’une grande maîtrise et d’une très fine compréhension de la partition. Son interprétation est pleine d’humour grâce à des musiciens qui entrent facilement dans le jeu. A l’image des choristes qui, assumant avec brio leurs multiples rôles, des suivants de Momus à ceux de Platée affublés d’yeux globuleux, font beaucoup rire la salle.
Enfin, les costumes de Laurent Pelly riches de trouvailles et d’inventivité (on retiendra ceux en forme de parapluie des Aquilons), s’accordent avec les somptueux décors de Chantal Thomas qui nous enfoncent au fur et à mesure du spectacle au plus profond du marais.
On l’aura compris, ce spectacle est un immense plaisir. Plongez donc sans attendre dans cette mare aux grenouilles!