Pour cette Olimpiade reprise du spectacle de 2002, le Festival Pergolesi avait mis les petits plats dans les grands en confiant la réalisation musicale à Alessandro de Marchi, qui a signé récemment avec son ensemble Accademia Montis Regalis la première intégrale de l’oeuvre sur instruments anciens. Cette intégrale a été enregistrée au festival d’Innsbruck, où Alessandro de Marchi a succédé à René Jacobs. En direct, on jouit à plein de la perfection sonore qui exalte les trouvailles mélodiques, les audaces ainsi que la maitrise formelle du jeune compositeur de 25 ans. L’entente entre le chef et les musiciens – on est tenté d’écrire les solistes tant ils sont impeccables et fascinants dans la précision et la subtilité de leur jeu – relève d’une évidente connivence. La direction du premier, aussi continuiste au clavecin, est sobre jusqu’au minimalisme, soulignant à peine les effets à obtenir, et par ailleurs d’une attention aux chanteurs infaillible.
Confrontés à une aussi grande qualité musicale, certains interprètes sont malheureusement à la peine. C’est le cas, pourquoi le taire, de Raul Gimenez, digne, comme il convient au roi Clistene, mais dont la puissance sonore ne peut totalement masquer, en dépit de sa technique consommée, les efforts perceptibles dans l’émission d’aigus fortement nasillés comme dans le contrôle du vibrato. L’autre ténor, peut-etre son élève, Antonio Lozano, semble chercher ses marques et impressionne plus par sa prestance que par sa personnalité vocale dans le rôle peu gratifiant du précepteur Aminta. C’est aussi le cas de Milena Storti, dans celui d’Alcandro, bien qu’elle ne démérite pas. Argene et Mégacle sont les victimes de Licida, la première parce qu’il semble avoir oublié qu’il lui a promis le mariage, le deuxième parce qu’il se sent redevable à jamais envers celui qui lui a sauvé la vie. Argene échoit à Yetzabel Arias Fernandez, Cubaine dont la voix puissante semble parfois saturer l’espace. Dotée d’une remarquable étendue et pressée de le faire savoir, elle ponctue la reprise da capo de son premier air de suraigus sans lien évident avec l’affect exprimé. Bref, des moyens mais une musicalité à raffiner. Sur ce point, en revanche, l’Ukrainienne Sofia Soloviy n’a rien à désirer et son Mégacle est aussi noble et tourmenté qu’il convient. Mais avec la fatigue l’émission s’engorge parfois, malgré la vigilance de la chanteuse. Les agilités redoutables de l’air « Torbido in volto » manquent quelque peu de netteté et de fluidité. Rien de tel avec la Russe Lyubov Petrova qui prête à la princesse Aristea une voix homogène et souple qu’elle conduit comme en se jouant dans la plainte ou l’invective, avec des modulations de volume et un trille parfaitement contrôlés. Louanges que Jennifer Rivera, déjà interprète du rôle de Licida à Innsbruck, mérite également, et que deux moments à eux seuls justifieraient, l’air du sommeil « Mentre dormi Amor fomenti » et l’air de fureur « Gemo in un punto, e fremo ». L’ensemble de la prestation, à très peu près, est du même niveau.
A sa création, en 2002, le spectacle avait divisé le public. Certains avaient peu gouté le dispositif adopté dans ce théâtre Moriconi dépourvu, en tant qu’ancienne église, de scène et de fosse. Quatre praticables prolongent l’espace de jeu qui nait de leur intersection, et qui s’enrichit de l’usage des tribunes supérieures. La proximité physique avec les interprètes a quelque chose de troublant, qu’il s’agisse des figurants uniformément vêtus et masqués, ou des chanteurs « à découvert », soudain perçus dans leur vulnérabilité. Au-delà de cet impact, cette conception a l’avantage de permettre à Italo Nunziata d’organiser des mouvements simultanés dans des directions différentes ; cette animation est de nature à rompre la monotonie que l’on peut trouver à l’enchainement obligé des récitatifs et des airs. Il n’est pas sur que le hiératisme des attitudes, la géométrie des déplacements et les effets de symétrie suffisent à éclairer l’œuvre et le traitement du personnage d’Alcandro – qui, parce que gaffeur, devrait être bouffe – semble complètement raté. Mais si l’on ajoute le jeu des formes et des couleurs des costumes de Ruggero Vitrani – même s’ils n’aident guère à identifier les personnages – les accessoires et les formes décoratives de Luigi Scoglio et l’atmosphère crée par les lumières de Patrick Latronica, la représentation, fort bien accueillie cette année, pouvait sinon combler du moins largement satisfaire.
Malheureusement le metteur en scène a pris le parti de coupes abondantes. Si elles ne nuisent pas fondamentalement à la cohérence dramatique, elles nuisent cependant à l’entreprise même de Pergolesi, dans son obsession de mettre en musique le moindre mot du discours métastasien, et désavouent par là même sa quête de compositeur. Un comble dans un festival qui lui est dédié ! Certes, le cas n’est pas unique et il ne faudrait pas chercher loin pour trouver des exemples comparables. Mais la brillante réussite de La Salustia atteste qu’une œuvre peut aller au succès sans être mutilée. Devant la communauté musicale le festival de Jesi ne devrait-il pas être la référence pour l’exécution intégrale des œuvres de Pergolesi, s’il veut assurer son rayonnement international ?