L’imprévu était au rendez-vous, pour cette 551e représentation de Tosca mis en scène par Margarethe Wallmann. Nous attendions Sondra Radvanovski en diva colérique, et c’est Norma Fantini qui est venue, tandis que Marcello Giordani fait annoncer avant le lever de rideau qu’il chantera Mario avec une voix altérée par une méforme passagère ; dans la fosse, le directeur musical Franz Welser-Möst, encore frais de la reprise d’il y a quelques trois mois, remplace Karel Marek Chichon.
Saluons les efforts de notre Tosca de ce soir qui donne beaucoup de sa personne pour rendre moins statique un spectacle qui s’occupe des décors et des costumes davantage que des chanteurs – mais reconnaissons, parce qu’il faut bien être objectif, que son jeu est aux stéréotypes grand-guignolesques ce que son chant est à l’écart de justesse : un hommage permanent. Du côté de son amant, on trouve à la fois plus de retenue expressive (ou de prudence, en cette soirée où il cherche à préserver ses moyens ?) et plus de sensibilité musicale. Mais l’indisposition touche son Mario au cœur, c’est-à-dire au timbre, privé, pour cette fois, de ses couleurs, de sa chaleur et de sa sève. Rien à déplorer du côté de Zeljko Lucic, dont le baryton naturellement chaleureux pare le Scarpia de rondeurs bonhommes inattendues, ni auprès des seconds rôles, tous excellents. Mais d’une Tosca privée des voix immenses et des tempéraments volcaniques prompts à faire rugir le drame, que faut-il attendre ?
Dans cet opéra si richement et savamment orchestré, la réponse s’impose d’elle-même ; et plus encore devant la haute-tenue du travail de Franz Welser-Möst. Comme en mars dernier, le chef sculpte des plans sonores somptueux, cisèle des nuances et suscite des couleurs jamais entendues avant lui. Comme en mars dernier, sa direction a les qualités et les défauts de ces superbes actrices qui savent que la maîtrise de leur plastique et de leur art les dispense du moindre effort pour surprendre ou émouvoir. Mais en mars dernier, sur scène, il y avait Stemme et il y avait Cura : mentionner que, face à deux protagonistes de feu, le chef était de glace, faisait sens. Ce soir, il convient plutôt de souligner tout ce que ce chic et cette musicalité apportent à une soirée où le beau chant, pour des raisons multiples, n’était pas trop au rendez-vous.
Il convient aussi, ce soir, de contempler avec un regard tout neuf le tout vieux spectacle de Wallmann. En certaines circonstances on pourrait être obsédé par ces personnages statiques venus de la nuit des temps ; ce soir, on a des yeux d’enfant devant la profondeur de la cathédrale au I, le faste décadent de l’appartement de Scarpia au II, le ciel étoilé et la statue monumentale qui observent, au III, l’exécution de Mario et le suicide de Tosca. Et l’on se dit que le grandiose des décors, le luxe des costumes (merci, Nicola Benois !) et l’élégance des lumières racontent l’histoire que les personnages se refusent à dévoiler. Il est des théâtralités plus brûlantes, il n’aurait pu y avoir d’écrin plus somptueux que celui que brodent, tout au long de la soirée, et la scène et l’orchestre. Au point que personne, dans un public conquis, ne s’est aperçu qu’il était vide…