« Que d’appas ! Que d’attraits ! » s’extase Pygmalion face à sa statue Galatée. Ce sont là, aussi, les termes qui viennent à l’esprit du spectateur pour qualifier le travail de Reinoud Van Mechelen qui réunit deux très belles pièces en un acte, officiant à la fois en tant que chef et que chanteur.
La direction de Reinoud Van Mechelen déploie son propre style, d’emblée, marqué par un équilibre fin entre la majesté solennelle et une dynamique très énergique. L’ensemble A nocte temporis ainsi que le chœur de chambre de Namur sont en grande forme ce soir, même si l’acoustique du salon Hercule n’est pas des plus appropriées. Ils se plient avec finesse aux nombreuses nuances imprimées par le chef qui anime chaque portée d’une intention théâtrale et d’un effet musical. Il est flagrant que Reinoud Van Mechelen s’épanouit particulièrement dans le rôle de chef, ce qui rejaillit sur la texture du son.
La juxtaposition des deux pièces est très bien pensée. Pour Zémide de Pierre Iso, il s’agit d’une exhumation, à tel point que les talents de Benoît Dratwicki ont été sollicités afin de recomposer les quelques portées manquantes. C’est une belle découverte : le registre est clairement pastoral, la partition offre des moments de tension comme des passages plus lyriques, voire, par certains égards, ironiques. Au-delà du livret, les parties pour orchestre justifient à elles seules cette résurrection et rappellent l’injustice de l’Histoire qui a délaissé ce maître baroque de grande qualité.
L’homogénéité musicale entre Pygmalion et Zémide est grande, pour ces pièces créées à 3 ans d’intervalle, en 1745 et 1748, tout comme les parallèles thématiques sont évidents. Axées autour de l’amour, les pièces atteignent les mêmes points d’arrivée à partir de situations initiales inversées : là où Zémide réfute toute perspective de sentiment amoureux, au désespoir de Phasis, Pygmalion, lui, se lamente de n’aimer qu’une statue. L’élément perturbateur, l’irruption de l’Amour, est en même temps le nœud de résolution de l’intrigue : alors que Zémide, par une flèche décochée en plein cœur, tombe amoureuse de Phasis, Pygmalion voit, grâce à Vénus, sa statue s’animer sous ses yeux et prête à l’aimer.
Le plateau vocal est d’excellente facture. Ema Nikolovska crève la scène, tant en Zémide qu’en Céphise. La finesse de l’émission et le volume de la voix coexistent de manière étonnante grâce à un jeu théâtral poussé, qui crée d’emblée l’émotion pour le spectateur. On imagine l’exceptionnelle Cybèle (Atys) ou Médée (Thésée) qu’elle doit être ! Philippe Estèphe campe un Phasis très convaincant, proposant une voix sombre qui s’éclaircit progressivement au cours de la pièce. La statue de Virginie Thomas est tout ce qu’il faut d’irréelle, prolongeant les notes comme escompté pour mimer sa sidération d’être en vie.
Le fil de rouge de la soirée n’est autre que Gwendoline Blondeel qui incarne l’Amour dans les deux pièces, avec le même talent, comme à l’accoutumée. Si la voix est aussi cristalline que puissante, c’est son intelligence du texte, sa diction et son travail du mot qui lui permettent d’offrir une superbe performance. Reinoud Van Mechelen excelle en Pygmalion. On remarque un attachement important aux contrastes, avec de nombreux et bienvenus piani disséminés ici et là. Les vocalises sont impeccablement exécutées, même si l’on aurait parfois préféré une voix de poitrine plutôt que de tête pour certains aigus, afin de donner plus de force et d’ampleur à l’ensemble. Tant « L’amour triomphe » que « Règne, amour » sont une réussite où tous les paramètres, vocaux, orchestraux et théâtraux, trouvent leur place. L’ensemble est chaleureusement applaudi et à raison !