Elles se multiplient les productions du dernier opéra de Rameau, et c’est tant mieux. Quelques mois avant Versailles et un orchestre tchèque, les vents de Borée portent ce soir un orchestre hongrois au Théâtre des Champs-Elysées. Ce concert s’inscrit par ailleurs dans la tournée internationale qui vient clore le partenariat particulièrement fructueux de presque 10 ans entre le Centre de Musique Baroque de Versailles et l’Orfeo Orchestra & Purcell Choir. Si les œuvres enregistrées étaient presque toutes des recréations, celle-ci dispose en revanche de quatre enregistrements officiels (deux au disque et deux en DVD), et le jeu des comparaisons n’est pas toujours en faveur des artistes de la soirée.
Á commencer par l’orchestre qui alterne entre mollesse hésitante et entrain excessif, laissant penser que tous les numéros n’ont pas été répétés avec la même attention. Passé un cor et un hautbois fâchés avec la justesse (« Cette troupe aimable » franchement dissonant), laissant de côté un percussionniste à qui on a manifestement posé peu de limites, les cordes, les flûtes et les bassons jouent bien voire très bien, mais c’est une suite de numéros plus qu’un drame. Or cette œuvre est bien une tragédie lyrique qui bénéficie, fait rare chez Rameau, d’un livret bien construit, et de danses plus inspirées les unes que les autres et étroitement liées à la situation dramatique dans laquelle elles sont insérées. Sans le secours de la féérie de la scène, l’ennui guette, tant la baguette de György Vashegyi semble davantage contrôler ses troupes que les galvaniser, ou alors par intermittence et sans grande finesse (ces contredanses vives mais plus pesantes que bondissantes). Le Purcell Choir, lui, se montre assez brouillon, autant dans la prononciation du texte que dans son attention aux harmoniques.
Chez les solistes, le Borilée de Philippe Estèphe est bien trop timide pour exister, tandis que le Calisis de Benedikt Kristjànsson a pour lui un registre aigu solaire et une agilité qui lui permettent de venir à bout de son inchantable ariette « Jouissons de nos beaux ans », quoiqu’au prix d’une certaine blancheur du timbre, de fins de phrase en sourdine et d’une raideur théâtrale : pour cet air hédoniste, on aurait préféré un Calisis moins parnassien. Tassis Christoyannis interprète les petits rôles d’Adamas et Apollon avec le même impeccable style, mélangeant diction gourmande et sens du tragique. Bien moins mesuré, et pour notre plus grand plaisir, le Borée de Thomas Dolié fait feu du seul acte que lui offre la partition : diction impérieuse, graves menaçants, grimaces débridées, le grand méchant s’est fait attendre, il ne déçoit pas. Gwendoline Blondeel séduit à chaque apparition, ponctuées d’aigus ouverts qui envahissent l’espace. Des aigus ouverts, c’est notamment ce qui manque à Sabine Devieilhe, dont l’émission sonne plus minérale et pointue que jamais. On regrette également toujours un manque de variété dans l’expression, laquelle, non dénuée d’intensité, tombe vite dans la pose. Saluons néanmoins l’extraordinaire technicienne qui livre un redoutable « Un horizon serein » avec toute l’intelligence de ses limites : des graves très proprement et efficacement poitrinés, des aigus sur le souffle toujours autant maitrisés, des vocalises impeccables qui se jouent des variations de rythmes incessantes. Si l’aigu était plus large et l’émission plus pulpeuse, on ne verrait pas seulement l’orage amené, mais aussi la mer se soulever. Enfin Reinoud van Mechelen est un superbe Abaris, qui troque la placidité qu’on lui connaissait, pour une expressivité à la fois généreuse et naturelle, soutenue par un timbre et un art de la prosodie délectables.