Fêtée sur la plupart des grandes scènes internationales, de Vienne à Berlin en passant par Londres et Munich, star incontestée du Metropolitan Opera, Anna Netrebko est, de façon incompréhensible, boudée par l’Opéra de Paris qui ne l’a plus invitée depuis l’automne 2009. C’est dire si ses admirateurs attendaient avec impatience son unique récital dans la capitale cette saison, initialement prévu le 24 mai et reporté pour raison de santé.
La soirée est placée sous le signe de l’opéra italien dans un programme qui fait la part belle aux récentes prises de rôles de la chanteuse. Vêtue d’une somptueuse robe rouge vermillon, la belle Anna est accueillie par une longue ovation de la part du public, subjugué par son élégance et son port de reine. La première partie de son concert, entièrement dévolue à Verdi, débute par la scène d’entrée de Leonora dans Le Trouvère, un rôle qu’elle a abordé à Berlin à l’automne dernier et qu’elle s’apprête à reprendre à Salzbourg en août prochain. Au début de l’air, quelques respirations intempestives trahissent le trac de l’artiste mais très vite le charme opère et la magie ensorcelante de ce timbre capiteux envoûte l’auditoire suspendu aux lèvres de la cantatrice, dans un silence recueilli. Les longues phrases de la cavatine bénéficient d’une ligne de chant impeccable et d’infinies nuances. La cabalette -doublée!- témoigne d’une technique assurée: notes piquées, trilles, vocalises sont en place et si la colorature n’a pas tout à fait la redoutable précision de celle d’une Sutherland, elle est largement à la hauteur de ce que faisait Leontyne Price -autre grande Leonora- dans cette page.
« La luce langue » dévoile une autre facette du talent d’Anna Netrebko qui, de jeune fille amoureuse, se transforme en femme assoiffée de sang et de pouvoir. La soprano qui vient de faire ses début en Lady Macbeth à Munich, reprendra ce rôle à la rentrée au Met. Commencé pianissimo, l’air s’achève sur un succession d’aigus impressionnants, d’une incroyable puissance, émis qui plus est, avec une facilité déconcertante. La salle exulte.
Malheureusement le duo d’amour entre Otello et Desdémone ne se situe pas sur les mêmes sommets. Il est difficile d’imaginer que Riccardo Massi possède des emplois tels que Radamès ou Calaf à son répertoire, lorsque l’on entend cette voix trémulante et mal assurée aborder « Già nella notte densa ». Paralysé par le trac et sans doute impressionné par sa partenaire, qui pourtant l’encourage du regard en lui souriant, le ténor italien se réfugie dans un mezzo-forte permanent et débite son texte sans grande conviction. Netrebko a beau varier les couleurs et s’impliquer dans son personnage, elle ne parvient pas à sauver tout à fait ce duo de l’ennui. Dès lors, il est permis de se demander pourquoi il a été fait appel à un autre chanteur juste pour deux duos? Si c’est pour servir de faire-valoir à la diva, c’est raté. Seule, Netrebko aurait pu conclure cette partie par un air brillant, par exemple l’entrée de Lady Macbeth (on peut rêver…) qui aurait mis la salle à genoux.
Au pupitre Massimo Zanetti propose une direction énergique et efficace, adéquate en somme pour ce type de concert. On déplorera cependant le manque d’imagination dans le choix des pages orchestrales: une énième ouverture de La Force du destin en guise de prélude!
La seconde partie, dédiée à l’opéra italien de la fin du dix-neuvième, comporte quelques pépites et non des moindres. Vêtue cette fois d’une magnifique robe bleue, Anna Netrebko qui a chanté en mars sa première Manon Lescaut puccinienne à Rome sous la direction de Riccardo Muti, propose un superbe « In quale trine morbide » où son timbre capiteux, nimbé de sensualité, fait merveille. « L’umile ancella » d’Adriana Lecouvreur, raffiné à l’extrême, lui permet de multiplier les pianissimi sur un fil de voix (« Un soffio è la mia voce ») pour la plus grande joie du public qui ne ménage pas son enthousiasme, mais le sommet de cette soirée est sans conteste « La mamma morta »: dans cette page, la cantatrice se métamorphose en véritable tragédienne et livre de cet air une interprétation poignante que l’on écoute la gorge serrée. Quitte à conclure la soirée avec Manon Lescaut, le duo, dans lequel Riccardo Massi se montre moins à la peine que dans Otello, aurait pu être avantageusement remplacé par « Sola, perduta, abbandonata » où la soprano aurait été souveraine. Qu’importe! L’auditoire en délire offre à sa diva visiblement émue, une retentissante ovation debout. Pourtant, nous n’aurons droit qu’à un seul bis -la belle invocation à la lune de Rusalka- et aux excuses d’Anna Netrebko de ne pas nous en donner davantage afin de ménager sa voix en vue du concert de lundi.