C’est une femme rayonnante qui se présente sur scène : blondeur insolente, pantalon blanc et tunique de soie imprimée, un air légèrement désinvolte, Anne Sofie von Otter n’a plus rien à prouver. Sa déjà longue carrière lui a fait aborder tous les genres, le lied, l’oratorio et l’opéra, elle a donné des master class un peu partout dans le monde, elle est parfaitement consciente de ses moyens, qui ne sont plus tout à fait ceux du sommet de cette belle carrière, mais qui ont conservé leur pouvoir de séduction. Si la voix a un peu perdu en souplesse et en couleurs, avec un vibrato devenu trop large dans l’aigu, la chanteuse, elle, a encore gagné en aisance, en générosité, en spontanéité, en qualité de contact avec le public.
Elle se présente à nous accompagnée de l’excellent pianofortiste sud africain Kristian Bezuidenhout, qui joue un très bel instrument, copie d’un Conrad Graf de 1819, particulièrement homogène. Et ce choix est très judicieux : d’une part parce qu’il correspond à l’esthétique du répertoire choisi, mais aussi parce que beaucoup moins sonore qu’un piano moderne, cet instrument évite à la chanteuse de devoir forcer sa voix, lui permet de nuancer d’avantage son chant et de ménager ses moyens. Une réelle complicité s’installe d’emblée entre eux, (il a l’âge d’être son fils…), faite de confiance et de mutuelle admiration, faite aussi du même amour pour la musique.
Kristian Bezuidenhout, piano et Anne Sofie von Otter, mezzo © DR
Dans la première section du récital, consacrée à Mozart, ce qui frappe surtout, c’est la simplicité de ton, le naturel avec lequel les deux musiciens prennent leur marque. Abendempfindung, qui est le sommet de cette première salve est particulièrement réussi. Viennent ensuite deux pièces pour piano seul, qui permettent à Kristian Bezuidenhout de mettre en valeur son jeu tout en finesse, douceur et poésie. Il présente une vision très classique de Schubert, quasi sans rubato, avec de belles couleurs feutrées. Le long lied Viola, véritable petit drame en musique, essentiellement concentré dans le médium de la voix, clôt cette première partie.
Après la pause, ce sont quatre lieder en suédois d’Adlof Fredrik Lindblad, quasi contemporain de Schubert, que le public est appelé à découvrir. On ne comprend pas tout, mais le charme de la chanteuse agit pleinement. Elle nous dit ensuite un petit mot pour présenter le compositeur Franz Berwald, à la fois musicien et industriel (on trouve au XIXè siècle des destins étonnants) et nous donne trois exemples de son œuvre avec humour et légèreté. Un nouvel intermède instrumental, au cours duquel le pianiste donne du mouvement lent de la sonate en mi bémol une version cérébrale et un peu triste, conduit à la dernière section du programme, Schubert encore, cantonnée dans le registre mélancolique et expressif.
Trois bis viennent conclure la soirée : An Sylvia (Schubert), sur un ton léger et désinvolte, Ständchen (Schubert encore) sur le ton de l’humour, et enfin, comme si elle répondait par anticipation aux critiques qu’on pourrait faire sur sa voix, avec intelligence et humour, dans un rôle qu’elle dit avoir ajouté récemment à son répertoire, un air extrait du rôle de la vieille dame dans le Candide de Bernstein : Life is life. Peut-on défier le temps qui passe avec plus de finesse et d’élégance ?