Les apparitions d’Annick Massis à Paris sont suffisamment rares pour que chacune d’elles soit considérée comme un événement. Ainsi, une foule nombreuse d’admirateurs avait rempli l’amphithéâtre de la Bastille pour son récital de mélodies. Son dernier concert à Paris remontait à 2009 au Théâtre des Champs-Élysées. Une méchante trachéite l’avait alors empêchée de donner la pleine mesure de son talent. Depuis elle avait partagé la vedette avec Michael Spyres lors d’une soirée à l’Opéra-Comique en avril 2014 et tout récemment elle incarnait avec succès l’Infante dans Le Cid à Garnier mais elle ne s’était plus présentée seule en scène. II lui aura donc fallu attendre près de six ans pour que l’occasion lui soit donnée d’offrir à son public une éclatante revanche.
Très élégante dans une superbe robe bleue, une natte blonde tombant sur son épaule, la cantatrice proposait un programme astucieusement composé. La première partie, dédiée à la mélodie française, mêlait airs connus et pages plus rares dont certaines furent pour beaucoup des découvertes. Les trois mélodies de jeunesse de Messiaen qui ouvrent la soirée sont chantées sur un fil de voix – « Le sourire », notamment – comme pour en souligner le côté extatique. Annick Massis excelle à varier les coloris dans un but expressif, ainsi les trois « Pourquoi ? » qui concluent le premier morceau sont remarquablement différenciés. « À Chloris » de Reynaldo Hahn, pris dans un tempo assez lent, est également chanté avec un timbre éthéré, comme dans un rêve, de même que « C’est l’extase langoureuse », première des quatre mélodies de Debussy au programme, au cours desquelles la voix prend peu à peu de l’ampleur jusqu’à atteindre sa plénitude dans « Apparition ». « Oh ! Quand je dors » de Liszt et ses longues phrases tenues sur un seul souffle permet à la cantatrice d’exhiber une ligne de chant d’une rare élégance et un registre aigu lumineux. On apprécie d’autant plus l’art de la soprano que sa diction est exemplaire. Cette partie s’achève avec deux raretés : « Psyché » d’Émile Paladilhe, sur un texte de Pierre Corneille, dont la ligne vocale semble faire écho à l’ « extase langoureuse » et la splendide « Chère nuit » et ses grandes envolées lyriques, composée en 1897 par Alfred Bachelet à l’attention de Nellie Melba.
Gounod excepté, la seconde partie est entièrement consacrée à des compositeurs italiens, parmi les plus célèbres du XIXe siècle. Le point commun entre les mélodies choisies par Annick Massis est qu’elles ont été réutilisées par leurs auteurs dans des opéras. Ainsi l’un des thèmes que l’on entend dans « In solitaria stanza » extraite des Six romances de Verdi publiée en 1838 se retrouve dans l’air d’entrée de Leonora au premier acte du Trouvère. Puccini réutilisera le thème principal de sa mélodie « Sole e amore » de 1888 dans le duo entre Mimi et Rodolphe au troisième acte de La Bohème. C’est Roméo et Juliette qu’évoque la mélodie de Gounod « A la Madone » tandis que les amateurs de bel canto auront reconnu sans peine les premières notes de « Qui la voce », l’air d’Elvira des Puritains, dans « La Ricordanza » de Bellini. Enfin, la musique de la « Chanson groënlandaise » de Catalani, composée sur un texte français de Jules Verne, sera reprise quasiment à l’identique dans le célèbre extrait de La Wally, « Ebben ne andrò lontana » ; il y est d’ailleurs également question de givre et neige. Annick Massis apporte à ces pages outre la lumière de sa voix, la sûreté de sa technique, acquise au cours de sa longue fréquentation du répertoire belcantiste, alliée à une émotion distillée avec délicatesse. Le programme s’achève avec « Il Bacio » d’Arditi qui ne se retrouve dans aucun air d’opéra mais en a toutes les caractéristiques et permet à la cantatrice, restée jusqu’ici sur son quant-à-soi, de se « lâcher » un peu en se déhanchant au rythme de la musique tout en régalant l’auditoire d’une cascade de pyrotechnies vocales parfaitement exécutées.
Au piano, Antoine Palloc offre à sa partenaire un accompagnement de bon aloi, sobre et efficace.
Deux bis concluront la soirée, « Era di maggio » de Franchetti et « Fior di margherita » d’Arditi, une polka qui s’achève brillamment sur un impeccable contre-ré longuement tenu pour la plus grande joie des spectateurs.