A Evian l’an passé, Benjamin Bernheim ajoutait Les Nuits d’été de Berlioz à son répertoire. « Un peu trop tôt ? Un peu trop vite ? », écrivions-nous. Le ténor nous devait une revanche. Le Festival de Paris lui tend la perche sur un plateau scintillant, au premier étage de la Tour Eiffel, en une ouverture d’édition 2020 décalée de quelques mois pour cause de pandémie. Tel le furet, le virus court toujours. Mais la résistance s’organise. À quel prix ? Un siège sur deux est laissé vacant. The show must go on.
Peut-on parler de show avec ce que le mot suppose de strass et de paillettes lorsque le récital prend comme ici la forme d’une conversation musicale entre voix et piano. Car Les Nuits d’été, et les autres mélodies au programme, doivent une part de la considération dont elles bénéficient à la place accordée à l’accompagnement instrumental. Il ne s’agit plus de cornaquer mais de commenter, voire de compléter.
Ce cycle, à l’intérieur duquel Benjamin Bernheim peinait à se glisser il y a un an, le voilà à présent parfaitement assimilé dans sa complexité technique et ses états d’âme. Entre l’insouciance de « Villanelle » pris à la hussarde, guilleret et claironnant et « L’île inconnue », malicieuse et gourmande, il y a la douleur de « Sur la lagune », les affres de « Absence », la mélancolie du « Spectre de la rose », ces humeurs que le ténor sait mieux que traduire, partager d’un chant dont on connaît à présent les sortilèges pour les avoir plusieurs fois expérimentés. La diction d’abord, essentielle à ce répertoire, cette prononciation naturelle de la langue française que Benjamin Bernheim partage avec Roberto Alagna et Georges Thill, deux modèles souvent cités. Aucun mot n’échappe à l’oreille au point que l’on découvre le sens de vers jusqu’alors obscurs. Le contrôle de l’intensité ensuite, comme si la voix disposait d’une échelle à la graduation infinitésimale, du souffle imperceptible à la bourrasque orageuse sans que jamais dans une salle de taille modeste le volume n’agresse. Le dosage entre voix mixte et de poitrine, voire de tête lorsque le texte impose d’alléger le ton. La transition de l’une à l’autre, ce changement de registre redouté par tant de ténors, se fait sans heurts, en un glissement si naturel qu’on ne le remarque pas. La concentration extrême comme si le chanteur allait chercher les sons au plus profond de lui-même.
Toute son âme est là, dans ce chant exhalé et vécu auquel Carrie-Ann Matheson apporte une énergie complémentaire, un yang terrestre à un yin rêveur. La pianiste, directrice artistique de San Francisco, partenaire des plus grands chanteurs de la planète, réussit à capter l’attention à l’égal du ténor. Dans cet exercice du récital, où la voix règne souvent sans partage, l’exploit n’est pas mince.
Duparc, Hahn et Gounod, trempés dans le même bain poétique n’appellent pas d’autres commentaires. « Voyage à Paris » de Poulenc est un délicieux clin d’œil qui laisse entrevoir, l’espace d’un instant, une autre facette de la personnalité de Benjamin Bernheim, facétieuse, joueuse, gamine.
Avec Verdi puis Donizetti, le ténor bombe le torse et l’enchantement perdure. L’opéra, qui pêche souvent par excès d’emphase dans un cadre intime, trouve naturellement ses marques. A défaut d’une italianité évidente, le style s’adapte à la générosité lyrique de pages auxquelles l’élégance du chant évite toute surcharge expressive, nuisible à leur impact émotionnel.
© Olivia Kahler
Entre temps, Benjamin Bernheim aura expliqué avoir rejoint « Momentum, Our Future, Now », un mouvement de soutien aux jeunes artistes que la la crise culturelle consécutive à la pandémie rend salutaire. A ce titre, Florie Valiquette a été invitée à ouvrir une parenthèse souriante de trois mélodies au sein d’un programme déjà conséquent.
La soprano canadienne découverte dans Le Postillon de Lonjumeau au Comique en avril 2019 donne en bis la réplique au ténor dans « Ange adorable », le premier duo de Roméo et Juliette de Gounod. Se confirme alors ce que « Ah, lève-toi soleil », en concert et au disque, laissait entrevoir : le Roméo fabuleux qu’héberge cette voix de ténor dont la lumière n’aveugle jamais, son phrasé, sa ligne, son maintien dépourvu de raideur, sa délicatesse et toujours la prononciation superlative ; Roméo que Benjamin Bernheim aurait dû finalement aborder à New York cette saison, prise de rôle annulée en même temps que la saison du Met ; Roméo pour lequel on serait prêt à traverser terres et mers ; Roméo dont le rêve de des Grieux en ultime bis prolonge l’ineffable promesse.
Par la volonté inexpugnable de Michèle Reiser, sa créatrice et directrice, le Festival de Paris se poursuit le jeudi 22 octobre avec Andreas Scholl à la Sainte-Chapelle, le mardi 3 novembre avec l’ensemble La Chimera à l’Eglise de Saint-Germain-des-Prés et le lundi 30 novembre avec Lambert Wilson en baryton au Théâtre de l’œuvre. Plus d’informations sur le festival.paris.