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Récital Benjamin Bernheim – Verbier

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Spectacle
27 juillet 2023
En état de grâce

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Détails

Schumann (1810-1856)
Dichterliebe, op. 48 (Heine)
1, Im wunderschönen Monat Mai
2, Aus meinen Tränen spriessen
3, Die Rose, die Lilie, die Taube, die Sonne
4, Wenn ich in deine Augen seh’
5, Ich will meine Seele tauchen
6, Im Rhein, im heiligen Strome
7, Ich grolle nicht
8, Und wüssten’s die Blumen, die kleinen
9, Das ist ein Flöten und Geigen
10, Hör’ ich das Liedchen klingen
11, Ein Jüngling liebt ein Mädchen
12, Am leuchtenden Sommermorgen
13, Ich hab’ im Traum geweinet
14, Allnächtlich im Traume
15, Aus alten Märchen winkt es
16, Die alten, bösen Lieder
Duparc (1848-1933)
L’invitation au voyage (Baudelaire)
Phidylé (Lecomte de Lisle)
Berlioz (1803-1869)
Le spectre de la rose, ext. de Les Nuits d’été (Gautier)
Chausson (1855-1899)
Poème de l’amour et de la mer, op. 19 (Bouchor)
1. La Fleur des eaux
2. La Mort de l’amour
BIS
Strauss (1864-1949)
Morgen, op. 27/4 (Mackay)
Lehár (1870-1948)
Dein ist mein ganzes Herz (ext. de Das Land des Lächelns)

Benjamin Bernheim, ténor
Carrie-Ann Matheson, piano

Verbier Festival, 30e anniversaire
Église de Verbier
24 juillet 2023, 11h00

La nature a doté Benjamin Bernheim d’un timbre de ténor d’une clarté rare. Il le met au service du répertoire français, un répertoire qui, avec lui et un Cyrille Dubois, semble retrouver une lumière qu’on croyait perdue.
Au centre du récital de Verbier, Benjamin Bernheim a offert, avec Carrie-Ann Matheson, trois moments de grâce. Trois leçons de chant français. Leçon… Le mot est mal choisi. Rien de didactique ni d’appuyé, rien qui pèse, mais le charme pur et la poésie. Bernheim en récital est le naturel même (à l’opéra aussi d’ailleurs). Et ces trois bijoux fragiles que sont L’Invitation au voyage et Phidylé de Duparc, suivis par Le Spectre de la rose de Berlioz respirent dans une lumière de matin radieux.

Benjamin Bernheim et Carrie-Ann Matheson © Evguenii Evtiukhov

L’imagination de l’instant

Rien ne semble pouvoir interrompre la grande ligne souveraine de L’Invitation au voyage, et pourtant quelle variété (et quelle sûreté) de moyens. La voix sait se faire diaphane, passer en registre de tête sur « pour mon esprit ont les charmes », puis revenir au registre de poitrine pour donner à « larmes » un surcroît d’intensité. Elle se joue en virtuose de la dynamique, entre pianissimos en confidence et forte irrésistibles qui semblent autant de rais de soleil dans la brume – on pense à Edvard Munch et à Hodler. Tout semble improvisé, dans l’imagination de l’instant.
D’un grand art (mais discret), cette manière de suggérer, entre chien et loup, « tout n’est qu’ordre et beauté » avant d’adoucir les consonnes de « luxe, calme et volupté », de sinuer à nouveau pour donner à voir les meubles luisants et la splendeur orientale, d’éclater avec « vagabonde », de murmurer « d’hyacinthe et d’or » sur les arpèges liquides que fait ruisseler Carrie Ann Matheson, de rutiler encore sur « chaude lumière », avant de terminer dans une langueur apaisée sur la reprise de « luxe, calme et volupté ».

Benjamin Bernheim et Carrie-Ann Matheson © Evguenii Evtiukhov

Raconter des histoires…

Phidylé, l’une des plus belles mélodies qui soient, monte encore d’un cran… Les demi-teintes rêveuses, quasi immobiles de l’incipit, « L’herbe est molle au sommeil », la sensualité de la diction (les S des « sources moussues »), la limpidité de la lumière pour « Midi sur les feuillages rayonne », tout est frémissant de sensualité, se colorant d’un sourire ravageur (qui s’entend dans la voix), l’œil se fait rêveur sur les « Repose, ô Phidylé », le deuxième sonnant un peu plus tard comme un écho, tout en sérénité, en consentement au monde et à la nature. Il suffit d’une couleur dans la voix pour qu’en effet le « chaud parfum circule au détour des sentiers » et d’un passage en voix mixte, avec la plus naturelle évidence, pour que resurgissent des souvenirs de Bonnard ou de Maurice Denis. Sur la dernière strophe, la voix, de toute sa vigueur, fera enfin surgir « l’Astre, incliné sur sa courbe éclatante »…

… et susciter des images

Le Spectre de la rose sera tout aussi miraculeux, avec son début serpentin, insinuant, d’une demi-voix qu’un crescendo parfaitement homogène conduira à un forte jamais dur. La musique respire à l’unisson des mots, sans que les uns prennent le dessus sur l’autre, ni l’inverse, et toutes les finesses de Berlioz sont là : un rallentando sur « ô toi qui de ma mort fut cause », une ombre passant dans la voix pour « toutes les nuits mon spectre rôde », avant qu’une radieuse montée en puissance amène le triomphant « J’arrive ». Nuances fugitives, usage de la voix mixte et de la voix de tête dont on croyait l’art perdu, maîtrisées avec une apparente facilité, perfection technique qui se fait oublier pour que ne reste que l’émotion, et donner à l’auditeur envie que le temps s’arrête. Élégance de cet art, qui semble s’effacer derrière l’objet musical, et de cette diction voluptueuse qui distille amoureusement le « jalouser » final (les sonorités de ce mot !)

Benjamin Bernheim et Carrie-Ann Matheson © Evguenii Evtiukhov

Humeurs penchées

Le Poème de l’amour et de la mer de Chausson est une pièce de vaste ambition qui semble le domaine réservé des sopranos et mezzos, les Victoria de Los Angeles, Baker, Norman, Gens, Lemieux, alors que le texte déroule la déploration morose, un peu penchée, d’un amoureux passablement transi, dont les larmes se mêlent aux vagues…
C’est comme une longue ballade, un poème des rivages, sur un poème de Maurice Bouchor d’une sensibilité fin-de-siècle que Bernheim chante sans affèterie, avec toujours autant de spontanéité, et un souffle lui autorisant d’interminables lignes vocales en lianes. Les premières mesures diaphanes (« l’odeur exquise du lilas… ») cèdent vite le pas à l’embrasement de la mer au grand soleil et la voix se timbre pour monter à de fiers aigus. Il y a du Wunderlich dans cet art du chant (et on le redira à propos de Dichterliebe), une manière d’oser l’effusion radieuse, de suggérer le sentiment en colorant la voix. On y entend à la fois le legato et l’éclat, quelque chose de pictural, et un naturel jaillissant, une sincérité qui le portent à oser presque parler les phrases d’une poésie un peu titubante de Bouchor (« Quel son lamentable et sauvage va sonner l’heure de l’adieu… »), ou à teinter d’amertume, avec un soupçon de métal dans la voix, son regard errant sur une nature décidément indifférente aux malheurs de l’homme. Et quand il chante « les oiseaux passent », il crée l’image.

Cette palette de climats ennuagés illuminera La Mort de l’amour, le timbre se faisant d’abord souverain pour évoquer les lilas exquis embaumant les cheveux des femmes… puis, selon les humeurs décidément cyclothymiques de Maurice Bouchor, devenant blême et brumeux, avant de se cambrer vers des forte impavides sur « Je saigne en regardant ma vie » puis de replonger dans la déréliction quand « la sombre clameur des flots couvrira le bruit de [ses] sanglots »…
Les longues lignes serpentines de Chausson, très Art nouveau, s’alanguissent et s’infléchissent, portées par une maîtrise du souffle et de la dynamique qu’on oublierait de remarquer tant la technique se cache derrière l’expression. Et si la voix se détimbre, c’est pour transmettre, sans couture apparente, le désarroi de l’amoureux éperdu.

© Evguenii Evtiukhov

Délectables mélancolies

Le piano de Carrie Ann Matheson, partenaire quasi attitrée de Benjamin Bernheim pour la mélodie, se fera encore plus virtuose et ruisselant dans l’intermède central, déferlement presqu’orchestral, vigoureusement coloré.
Et c’est en poète que Bernheim suggèrera, dans un semi-éloignement, les nuages du souvenir où se complaira le narrateur. La fin du poème, comble de délectation, où l’inconsolable se remémore le temps des lilas et le temps des roses, évidemment « mort à jamais », sera, sur un tempo se ralentissant jusqu’à s’immobiliser, une merveille de délicatesse. D’autant qu’on ne sait plus trop comment c’est fait… entre le poids juste donné à chaque mot et à ses arrière-plans, la ductilité de la ligne musicale et le scrupule mis à restituer la sensibilité d’une époque, quelque désuète puisse-t-elle sembler, dans toute sa fragile candeur.

Le récital s’était ouvert avec Dichterliebe, cycle dont les humeurs changeantes semblent faites pour la versatilité de Bernheim. Tout au long, on pensera à Fritz Wunderlich, tant la lecture de ce ténor si français semblera dans une lumière semblable. Début élégiaque, tout en douceur pour évoquer le «wunderschönen Monat Mai » dans un registre clair, élevé, effusif, avant que très vite la projection de la voix ne suggère l’éveil de l’amour.
On a déjà évoqué la maîtrise par Benjamin Bernheim de la voix mixte et de la voix de tête, on n’y reviendra pas, sauf pour dire à quel point il en use avec élégance, en adhésion avec l’esprit du texte. La voix, si homogène, joue de son charme, elle se fait souple et joueuse sur « Die Rose, die Lilie, die Taube, die Sonne » et suspendue, intime pour « ich liebe alleine ». Mais elle va chercher des graves bien timbrés pour « Im Rhein, im schönen Strom » et lancera fièrement le « Ich grolle nicht » sur des notes très ouvertes envoyées à pleine puissance, démontrant que la palette de ténor ne demande qu’à être sollicitée, « Und wüssten’s die Blumen » se teintant par contraste d’une mélancolie légère avec tout ce que le timbre de Bernheim peut avoir de juvénilité.
Les longs postludes de chacun des lieder, qui semblent préfigurer les Intermezzi de Brahms, sont pour Carrie Ann Matheson l’occasion de montrer un éventail très riche, un piano souvent fougueux, très timbré, solide, puissant.

© Evguenii Evtiukhov

L’élégie est son domaine

Seul regret : dans ce répertoire qui lui est peut-être un peu moins familier, Benjamin Bernheim se sert d’une partition aide-mémoire et l’on perd parfois son regard. Tout entier concentré sur le son, il ajoute un peu de métal à son timbre pour évoquer les « Flöten und Geigen », prend un tempo lentissime pour dire à mi-voix le « Schmerzendrang », la violente douleur, du pauvre Dichter. Peut-être qu’on aimerait un soupçon d’ironie heinienne sur « Ein Jüngling liebt ein Mädchen », mais décidément l’élégie est son domaine, et la voix se fait céleste, contemplative, rêveuse, pour « Am leuchtenden Sommermorgen » (suivi d’un postlude qui nous semblera peut-être un peu prosaïque), douloureuse et blafarde pour « Ich hab in Traum » , avant de se réduire à un filet ténu puis de remonter sur « geweinet », et d’arriver à son climax sur « Tränenflut ». Émotion à son comble alors.

Tour à tour fragiles, éperdus, charmeurs, bondissants, altiers, puissants, seront les derniers lieder du cycle, alternant toujours des transparences impalpables et de fougueuses expansions lyriques, tout cela allant bien au-delà de la brillante démonstration de maîtrise, et touchant l’auditeur au cœur, d’où deux bis à l’opposé l’un de l’autre : d’abord Morgen, de Richard Strauss, d’une douceur ineffable, éthérée, dans un demi-sourire triste, moment de grâce suspendu, puis un Dein ist mein ganzes Herz, capiteux, rutilant, séducteur, dissipant toutes les brumes et s’achevant sur une haute note finale éclatante et à pleine puissance, une touche de panache, comme pour signifier « J’ai ça aussi dans ma besace… »

© Evguenii Evtiukhov

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2, Aus meinen Tränen spriessen
3, Die Rose, die Lilie, die Taube, die Sonne
4, Wenn ich in deine Augen seh’
5, Ich will meine Seele tauchen
6, Im Rhein, im heiligen Strome
7, Ich grolle nicht
8, Und wüssten’s die Blumen, die kleinen
9, Das ist ein Flöten und Geigen
10, Hör’ ich das Liedchen klingen
11, Ein Jüngling liebt ein Mädchen
12, Am leuchtenden Sommermorgen
13, Ich hab’ im Traum geweinet
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15, Aus alten Märchen winkt es
16, Die alten, bösen Lieder
Duparc (1848-1933)
L’invitation au voyage (Baudelaire)
Phidylé (Lecomte de Lisle)
Berlioz (1803-1869)
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