Cinq mois avant de très attendus Pêcheurs de perles à Aix, Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre viennent rappeler quels extraordinaires interprètes de Bizet ils sont. Avant les deux suites de l’Arlésienne (superlatives, tant dans les passages intimes que dans l’éclat frénétique de la Farandole, au tempo encore plus vif que celui de leur enregistrement 2008 – il faut voir le sourire des artistes réussissant à tenir un tel train d’enfer sans vaciller ni renoncer à la qualité du son), la première partie du concert alterne les pièces de Jeux d’enfants, commentaires érudits et drolatiques du maestro et des airs d’opéra.
Adèle Charvet nous parait bien plus adéquate dans ce répertoire que le baroque : galbe des phrasés, superbes graves, prononciation parfois un peu trop ouatée quoique soignée, et des modulations précises et délicieuses. On regrette simplement quelques aigus un peu hululés pour l’air de Djamileh et une composition théâtrale en Carmen vivante et élégante mais qui manque encore de personnalité (à l’exception de « taratata » acides et gamins).
Kévin Amiel confirme tous les espoirs placés en lui : l’intonation est superbe, le français parfaitement compréhensible sans être anguleux, ses piani splendides et les aigus gagnent en stabilité passée la sérénade de Smith, qui accuse plusieurs problèmes de justesse dans les forte dont il est prodigue, impeccablement haletante et balancée sans cela. L’air de Nadir est sa grande réussite : justifiant la transition après le récitatif enfiévré, ce n’est pas un enfant de chœur qui chante cette romance, ni un stentor mal dégrossi, mais bien un homme que la nostalgie amoureuse apaise, assumant ses graves et sa voix de poitrine avec élégance (rappelant par moment le meilleur du jeune Alagna), tout en négociant les si bémols avec finesse par un passage en voix de tête très maitrisé. On aimerait des appogiatures plus précises sur « ravissement » certes, réserve très mineure. Son Don José ne démérite pas : « Tu m’entendras » n’a peut-être pas la brusquerie requise, annonciatrice de l’issue fatale, mais cela faisait longtemps que nous n’avions pas ressenti un tel frisson en entendant le « Je t’aime » conclusif, caressé en communion avec des bois qui donnent toute sa valeur à cette curieuse harmonie.
C’est l’orchestre toutefois qui nous fait chavirer ce soir : ce n’est pas leur moindre mérite que de nous donner le sentiment de découvrir cette musique, même les pages rabâchées, et de procurer au spectateur la griserie de la résurrection d’une œuvre de génie oubliée. Disposition savante (cuivres et contrebasses de part et d’autre) ? Talent du chef ? Métier des instrumentistes ? Acoustique généreuse de cette salle récente ? On ne sait pas pourquoi, on croit entendre ces partitions en 3D.