Voyez ce bon géant entrer en scène. Il a l’allure bonhomme et le sourire de ceux dont on se dit qu’on pourrait facilement s’en faire des amis. Ce bon géant est Bryn Terfel.
Ce soir-là, l’Opéra de Monte-Carlo est en fête. C’est le dernier concert de la saison. Le prince Albert II est dans sa loge.
Sans tarder, Bryn Terfel s’avance et attaque quelques airs de son pays de Galles natal. Il y est question de plaisirs paysans, de paysages bucoliques, d’amours campagnardes. Mais la voix de Terfel est si monumentale que ces mélodies toutes simples prennent l’allure de vrais airs d’opéras.
Cette voix sombre semble d’une puissance sans limite. Son timbre est noble, sa rondeur admirable, ses graves sont vibrants. Et lorsqu’il arrive à Terfel d’aller chercher, en voix de tête, quelques notes dans l’aigu, il nous fait entendre des sons ténus d’une grâce exquise – comme si ce bon géant allait cueillir avec précaution une fleur printanière au sommet de sa tessiture.
Après les chants gallois, voilà des Lieder de Schubert ou de Schumann, ainsi qu’une mélodie de Debussy. Bien sûr, ce n’est pas le répertoire habituel de Bryn Terfel. On aimerait un style plus intimiste. Mais il met tant de conviction dans leur interprétation qu’on a du mal à résister. D’ailleurs, dans l’immense répertoire des Lieder de Schubert, il sait choisir des pages dramatiques comme « Gruppe aus dem Tartarus » où il est question d’un groupe de damnés qui viennent crier leur détresse à Dante en visite aux enfers.
Tout au long de la soirée, Bryn Terfel passe de côté cour à côté jardin où l’accompagnent en alternance la pianiste Annabel Thwaite et la harpiste Hannah Stone – laquelle est sa propre épouse.
Lorsque s’ouvre la troisième partie du concert, consacrée aux airs d’opéras, alors qu’on le croyait arrivé au bout de sa puissance vocale, il redouble d’intensité. Dans Mefisto de Boïto , il se transforme en tornade. Il achève son air en sifflant diaboliquement à l’aide de deux doigts. Sa romance à l’étoile de Tannhaüser de Wagner est incandescente : « Oh, fidèle étoile du berger, je t’accueille toujours avec autant de joie ! » Quant à son air de Pizzaro dans Fidelio de Beethoven, c’est un volcan en éruption.
En bis, Bryn Terfel s’autorisa un air d’Un violon sur le toit. Vous pensez si le public de Monaco fut ému en l’entendant chanter « Ah si j’étais riche »!