Entre deux représentations de Medea à Würzburg (la Médée de Cherubini y est donnée en version italienne), Claire de Monteil est venu proposer un récital, à Paris cette fois, à nouveau accompagnée par son ami et complice le pianiste et compositeur Aymeric Gracia. La jeune chanteuse propose ici un programme composé de pièces déjà entendues à Bagneux et Paris, avec quelques nouveautés. Le timbre est toujours aussi lumineux, avec un médium superbement corsé. On aura toutefois noté quelques discrets accrocs dans la ligne de chant : il faut dire que le soprano avait chanté Médée la veille et qu’elle revenait le jour même d’Allemagne, ce qui a du induire une fatigue légitime. L’artiste est toujours aussi attachante et sait transmettre son art à son public avec naturel et simplicité.
Son « Casta diva » est toujours chanté avec la même délicatesse et la technique est bien en place avec notamment le respect des trilles. Les mélodies françaises marquent un progrès dans l’articulation et les textes sont généralement très intelligibles. « Le Soir », de Charles Gounod, nous a paru particulièrement inspiré, ainsi que la délicieuse « Solitude » d’Aymeric Gracia, extraite du cycle complet donné à Bagneux. Au chapitre des découvertes, on notera « Je ne t’aime pas », chanson de Kurt Weill écrite pour Lis Gauty au début des années 30, qui donne l’occasion au soprano d’offrir tout un éventail d’émotions, et de puiser sur divers registres musicaux, voire même d’utiliser avec dramatisme la voix parlée. Autre découverte : une étonnante mélodie de Cécile Chaminade, sur un poème de Rosemonde Gérard, « Ma première lettre », où le désabusement se substitue de manière atypique à la traditionnelle nostalgie. « Over the rainbow », affecté d’un embarrassant trou de mémoire, nous a semblé superflu dans le programme (il en serait différemment pour un bis), s’agissant d’un morceau à ce point identifié à sa créatrice, Judy Garland, dont ce fut la signature tout au long de sa carrière. L’anglais reste de plus perfectible comme le démontre son « I Could Have Danced All Night », extrait de My Fair Lady, interprétation sympathique au demeurant. Entre ces deux airs, l’extrait débridé de La Grande-Duchesse de Gérolstein, « Ah ! Que j’aime les militaires ! », contraste par un médium opulent. Le récital se termine avec quelques morceaux particulièrement enthousiasmants qui mettent justement en valeur le médium profond et sombre du soprano. Le « Vissi d’arte » de Tosca est toujours impeccable de musicalité et dramatiquement juste, sans histrionisme. Nouveauté au programme, « Pleurez mes yeux », extrait du Cid, nous donne envie d’entendre la chanteuse dans le rôle entier. Le « Youkali » est à nouveau parfait vocalement et dramatiquement émouvant. Le succès de la soirée doit beaucoup aux talents d’Aymeric Gracia, partenaire davantage que simple accompagnateur, en symbiose totale avec sa récitaliste. Un arrangement de Rêve de valse nous aura également permis d’apprécier sa virtuosité et sa musicalité.
A ce stade, la vocalità de Claire de Monteil interroge. On a vu le soprano tout à fait à l’aise dans des rôles de lirico demandant de la virtuosité (voir sa Leonora du Trovatore à Lucques par exemple) mais c’est peut-être dans des emplois plus dramatiques que le côté sombre de sa voix offre le plus de séduction, sachant toutefois qu’il ne faut pas se frotter trop précocement à des rôles trop lourds. Pour confirmer son répertoire idéal, il faudra attendre que le soprano s’essaie d’abord dans différentes directions, au récital du moins : réussir la cabalette du « Casta diva », c’est une fenêtre vers les reines de Donizetti ; défendre les airs d’Éboli ou d’Élisabeth de Don Carlo(s), c’est plutôt le répertoire de Falcon qui s’ouvre. Certes, les plus grandes y sont parvenu (de Callas à Caballé) mais nous n’en sommes pas encore là : chi va piano, va sano e va lontano. Enfin, à un moment où on peut s’interroger sur l’avenir des récitals, on notera que celui-ci aura eu lieu devant une salle quasiment pleine, malgré une publicité minimale et un lieu peu connu, recevant un accueil chaleureux du public.