Les projets discographiques se succèdent pour Marina Viotti. Le très personnel Melankhôlia – In darkness through the light, à peine sorti, voici venue la préparation d’un nouvel album enregistré en concert, ce 4 novembre, dans la Salle des croisades du Château de Versailles. Le lieu, un grand rectangle bien régulier recouvert de panneaux de bois sur lesquels s’alignent tableaux et armoiries de croisés, est souvent utilisé par l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles pour ses enregistrements, auxquels il prête son acoustique chaleureuse. Si le programme de la soirée, consacré à des figures féminines dans la musique baroque, fait la part belle à des œuvres italiennes de la première moitié du XVIIIe siècle, c’est avec Purcell que la soirée commence, avec « The curtain tune », qui permet aux musiciens de démontrer leur aisance dans un registre qui ne constitue pas le cœur de leur répertoire. Quelques mesures de clavecin pour un fondu-enchaîné avec l’arrivée de Marina Viotti, qui trouve dans le motet Volate gentes de Giovanni Porta une entrée en matière percutante, à même de faire valoir la santé éclatante d’une voix pulpeuse et bien projetée. Après un extrait du Concerto pour violon « Grosso Mogul » de Vivaldi, où Andres Gabetta se montre aussi fougueux violoniste que chef d’orchestre engagé, le Salve regina de Porpora déploie ses atmosphères variées en toute fluidité : à la sérénité des premières mesures, où Marina Viotti s’illustre par un contrôle du souffle et du legato irréprochable, succède une partie centrale plus torturée, où elle se transforme en mater dolorosa recueillie, avant un retour à l’espérance et à l’apaisement, conclusion heureuse et sans triomphalisme de ce chef-d’œuvre.
Après un intermède instrumental consacré à Pietro Locatelli, violoniste poussé par sa virtuosité à voyager à travers une bonne partie de l’Europe, la suite du programme fait la part belle à Vivaldi, dans ses inspirations pastorales et guerrières. Dans les premières (Ascende laeta et Canto in prato, ride in monte), Marina Viotti trouve une légèreté idoine, qui ne tombe jamais dans la naïveté, tandis que les secondes (deux extraits de l’unique oratorio du prêtre roux qui soit parvenu jusqu’à nous, Juditha Triumphans) constituent un terrain de jeu rêvé pour sa vocalité nerveuse et rageuse, sa virtuosité brute et son tempérament volcanique. « Armatae face et anguibus », dans lequel la chanteuse demande au public de donner de la voix sur les « furiae / furiae / furiae ! » qui ponctuent la première strophe, devraient faire la joie des auditeurs du disque comme ils ont déclenché les ovations des spectateurs de ce soir.
Fin de programme officiel, mais début d’une série de bis plutôt jubilatoire, où la complicité entre la cantatrice et le chef d’orchestre, aux côtés de musiciens décidément très en forme dans ce format chambriste, se fait évidente. « Les sauvages » de Rameau, le « Dopo Notte » d’Ariodante, qui rappelle à point nommé les affinités entre Haendel et Marina Viotti, avant une reprise d’ « Armatae face et anguibus », avec une chanteuse toujours aussi vaillante et un public encore heureux de participer… vivement l’album !