Trois grandes voix en un récital : Golda Schultz, Amitai et Pene Pati. Le chiffre, inhabituel, présente l’avantage de limiter le nombre de pages orchestrales destinées à ménager une plage de repos aux chanteurs, et l’inconvénient de ne pas leur laisser le temps d’installer une complicité avec le public. Trois petits tours et puis s’en vont sans que l’on ait vraiment pris la mesure de leur art. Accueilli chaleureusement dès son entrée en scène, Pene Pati ne s’enflamme que dans les dernières mesures de « Recondita armonia ». Là s’impose le rayonnement de la quinte aiguë quand auparavant la voix accusait un défaut de relief. Il est encore un peu tôt pour Mario. Golda Schultz mâchonne Micaela. L’absence de caractérisation estompe la bonne impression laissée par la consistance du médium et les aigus filés de Magda dans La rondine. Malgré des « Lallarallara » drôlement balancés, la musicalité d’Amitai Pati ne suffit pas à donner corps à la « furtiva lagrima » de Nemorino.
L’exercice tourne en la faveur du premier des trois chanteurs dans la Prière de Robert le Diable. La diction française est remarquable, la maîtrise de la demi-teinte délectable. Alors qu’auparavant un numéro chassait l’autre, s’installent sur scène une tension et dans la salle une attention. Si sympathique soit ensuite le partage entre les deux frères des couplets de « De’ miei bollenti spiriti », le procédé dissipe l’émotion qui commençait enfin à poindre. Deux ténors pour Alfredo, c’est un de trop. Entracte.
Avec « Com’è gentil » en début de 2e partie, Amitai Pati laisse mieux entrevoir le potentiel d’une voix dont l’élégance prend le pas sur la puissance. Une tendresse, une ligne, une grâce qui devrait trouver chez Mozart un terrain favorable. Français approximatif, vocalises scolaires, manque d’expression : Juliette continue d’accuser les limites de Golda Schultz. « Je veux vivre dans un rêve » se fait parcours d’obstacles que la soprano exulte d’avoir franchi sans trop d’encombre, bras au ciel, à la manière du footballeur qui vient de marquer un but. Privé de sa moitié, Roméo navigue en solitaire. Mais avec « Ah lève-tôt soleil », Pene Pati renouvelle le miracle de la salle Favart en décembre 2021 : nuance, longueur de souffle, délicatesse, ivresse, éclat et sur le « Parais » final une ineffable messa di voce qu’à notre connaissance il est le seul à oser.
La dernière partie du programme offre aux Frivolités Parisiennes plus d’occasions de briller. L’orchestre prend le pas sur les chanteurs. Il faut dire qu’à l’exception de « Dein ist mein ganzes herz », le répertoire exige des voix sonorisées. Quentin Hindley avait jusqu’alors montré quel accompagnateur zélé il savait être ; il occupe à présent la première place sur le podium. Tout swingue, tout claque. Le récital se fait show. Un chant traditionnel néo-zélandais s’achève en Haka. Le public, debout, frappe dans ses mains. Certains osent même un timide déhanchement. L’énergie de Golda Schultz est positive ; la joie de chanter des frères Pati communicative. A l’heure où les mauvaises nouvelles se ramassent à la pelle, où les températures, conformes pour une fois aux normales saisonnières, chutent en dessous de zéro, et où le moral des Français observe une courbe inversement proportionnelle à l’inflation, que demander de plus ?