Certains signes ne trompent pas : la longue ovation réservée à Juan Diego Flórez dès son entrée sur la scène de la Grange au lac ; la salle debout à la fin du spectacle, qui en redemande encore et encore. Entre les deux, un one man show réglé comme du papier à musique dont l’efficacité, à défaut de la spontanéité, s’impose une nouvelle fois. A 49 ans, le ténor péruvien possède une connaissance précise des possibilités offertes par sa voix. Même s’il confie aimer prendre des risques, même si sa technique demeure superlative, chanter « Nessun dorma » accompagné d’un simple piano, si attentif soit Vincenzo Scalera à son partenaire, ne met pas à sa portée l’intégralité du rôle de Calaf. Pétri d’intentions et abordé pour la première fois sur scène l’an passé à Zurich, Rodolfo de La Bohème, esquissé en fin de programme, semble déjà trop large. Et que dire de Rinuccio dans Gianni Schicchi, dont les écarts de registre sont enjambés avec nervosité, le bras posé sur le piano comme si le chanteur cherchait un appui pour ne pas perdre l’équilibre.
Juan Diego Flórez © lagrangeaulac.com
A lui qui trouve « un grand plaisir à pratiquer le football », le répertoire français s’impose à présent comme le terrain de jeu favori – « Cela correspond à une évolution de ma voix qui, ces derniers temps, me permet de m’approprier ce magnifique répertoire ». Le programme en offre la démonstration à travers quatre airs ciselés comme des joyaux, où le soin porté à l’expression et à la diction compense une certaine monochromie.
Si admirables soient ses efforts pour élargir son champ d’action, c’est toujours dans le primo ottocento que le ténor se présente sous son meilleur jour. Moins Rossini désormais que Donizetti : la « furtiva lagrima » exhalée sur le souffle d’un seul trait, la main sur le cœur et, plus encore, la première partie de l’air d’Edgardo dans Lucia di Lammermoor, intense, animée et ponctuée de quelques-uns de ces aigus que Juan Diego Florez aime envoyer comme des uppercuts, après avoir ménagé son effet en retenant une fraction de secondes sa respiration. Est-ce pour augmenter ainsi l’impact de son contre-ut conclusif que sera évitée la fin de la cadence dans la cabalette d’Alfredo au 2e acte de La traviata ? L’effet sur le public est imparable. Il faudrait être de bois pour ne pas en redemander. Les pieds trépignent ; les mains frappent ; les bravos fusent. La salle se lève d’un seul bond. Mission accomplie.
Juan Diego Flórez © lagrangeaulac.com
Guitare à la main, Juan Diego Flórez siffle la troisième mi-temps en un numéro de latin lover irrésistible. Enfin, l’étau se desserre. Le chant, libéré des tensions qu’il s’était lui-même imposées, ose quelques œillades vocales et s’autorise même dans Cucurrucucú paloma une note si longuement tenue que le public amusé l’interrompt par une salve d’applaudissements. Le charme une fois encore triomphe de la critique.