En 2012 à Pesaro, Juan Francisco Gatell faisait battre le cœur d’un public toujours prompt à s’emballer dès qu’il s’agit de jeune ténor. Deux années et quelques Barbiere plus tard, voilà notre séducteur de retour au Teatro Rossini dans un rôle de premier plan – il Conte d’Almaviva aux côtés du Figaro de Florian Sempey – et, le temps d’un après-midi, en récital sur la scène de l’Auditorium Pedrotti. Une preuve de reconnaissance, sinon de consécration. Yeux bleus, barbe soigneusement négligée, silhouette athlétique, Juan-Francisco Gatell a pour séduire d’autres arguments que sa seule voix. Le pupitre qu’il place devant lui ou qu’il cache derrière le piano selon sa maîtrise des partitions sert à tromper une légitime nervosité. Les deux péchés de vieillesse et les deux Beethoven pâtissent de la présence de ce support de métal auquel le ténor se cramponne comme à une bouée. Les « che fa, che fa » de l’amant impatient sont chargés de sens mais le chant paraît entravé. Que le pupitre soit écarté et le geste s’anime, la voix se libère, le ténor devient de grâce. L’émission est haute, le timbre léger, le son projeté, la vocalise agile sans que l’aigu modeste n’autorise à envisager le contraltino. Ce n’est pas un hasard si Almaviva la veille rappelait davantage Luigi Alva que Juan-Diego Florez malgré un « Cessa di piu resistere » crânement envoyé.
Les deux airs de Don Ottavio occupent le dessus du panier : délicats, liés et teintés d’une douce mélancolie qu’un grave substantiel ombre d’amertume. Le français est assez maitrisé pour que la barcarolle de Fra Diavolo et le madrigal d’Horace dans La Colombe passent comme un charme. « Quell’alme pupille », l’air de Giocondo extrait de La pietra del paragone est tracé d’un trait souple et élégant. Pourtant, Donizetti plus que Rossini semble le point vers lequel tend à présent la voix : Ernesto dans Don Pasquale en attendant de franchir la limite tracée par un Nemorino encore frêle.
Beatrice Benzi (piano), Juan Francisco Gatell (ténor) © Amati Bacciardi
Les trois bis offerts à un public enthousiaste laissent cependant transparaitre d’autres ambitions. « No puede ser », extrait de La Tabernera del puerto, et le lamento de Federico outrepassent les possibilités actuelles – et sans doute futures – de la voix mais l’interprète peut y donner sa vraie mesure. Detrompons-nous, Juan Francisco Gatell n’est pas le jeune premier idéal que suggère un physique avenant et un chant gracieux. Son tempérament, imprégné de l’air moite que l’on respire dans les milongas de Buenos Aires – sa ville natale –, se révèle dans ces pages chargées de passion. La mélodie d’Astor Piazzola, mélodramatique dans la mesure où la déclamation théâtrale s’ajoute au chant, n’est pas sans risque. Le ténor, bras levés au ciel, l’interprète avec une fièvre toute latine qui enflamme la salle. L’accompagnement bienveillant de Béatrice Benzi autorise ces incursions dans un répertoire exotique. Disert, le jeu de la pianiste rappelle tout au long de la matinée combien la réussite d’un récital dépend aussi de l’instrumentiste.