Quelques semaines après la sortie du disque Mademoiselle, Julie Fuchs retrouvait Enrique Mazzola et l’Orchestre National d’Ile-de-France pour interpréter sur scène quelques pages de ce nouvel album. Un récital consacré donc au bel canto, mais qui laisse aussi la part belle à l’orchestre.
Ce dernier amorce la soirée avec l’ouverture de La Pie voleuse, tube parmi les tubes du répertoire rossinien, où l’on regrette d’emblée des lourdeurs. Le son d’ensemble est beau, compact, mais au détriment des différentes voix. On aurait aimé plus d’élégance, de ligne, mais aussi de nuances : tout bon crescendo demande un piano.
Julie Fuchs amène heureusement, avec « Io son la zingara », un peu de la légèreté qu’on attendait. Flânant parmi les musiciens, esquissant quelques pas de danse, elle se fond d’emblée dans un personnage : sans emphase, mais avec le charme qui sied à cette musique. Si la voix a une belle rondeur, elle manque malgré tout un peu d’éclat et peine à se faire entendre au milieu d’un orchestre au jeu empesé.
Renonçant à « Una voce poco fa » – annoncé dans le programme –, nous voici embarqués dans une tempête et un orage : celle de La Cenerentola et celui du Barbier de Séville. Paradoxalement, les musiciens y font preuve de nuances – voire d’une certaine retenue – qu’on n’avait pas entendues auparavant. C’est précisément là où l’on attendait que les éléments se déchaînent qu’ils se montrent les plus sages…
Le « Sventurata mi credea » (l’air de Clorinda extrait de La Cenerentola, souvent omis sur scène) souffre tout particulièrement de l’inadéquation entre Julie Fuchs et l’orchestre : si la première dépeint une héroïne vive et piquante, les musiciens lui répondent sans finesse. Enrique Mazzola a beau, à de nombreuses reprises, leur faire signe de jouer piano, rien n’y fait. Un ou deux aigus qui plafonnent un peu du côté de la soprano ajoutent au désappointement : la soirée commence bien mal.
Mais quel soulagement dès que retentissent les premières notes d’ « Il faut partir » ! Voici que la voix retrouve sa brillance habituelle et parvient alors, sans peine, à se faire entendre. Nuances, souffle, ligne, Julie Fuchs incarne avec une simplicité et une fragilité remarquables le personnage de Marie. Les musiciens se font plus à l’écoute, et trouvent un jeu plus délicat : l’espoir renaît juste avant l’entracte.
L’espoir ne sera pas déçu durant la deuxième partie du concert. La soprano retrouve, dès l’air de Raimondi – chanté depuis la salle ! – une rondeur du timbre et une justesse d’intonation qui ne la quitteront plus ; et toujours cette sensibilité aux héroïnes qu’elle incarne.
L’Orchestre National d’Ile-de-France exécute quant à lui l’ouverture du Barbier de Séville à toute allure, mais avec une précision redoutable et en offrant un bel équilibre entre les pupitres. Le chef semble avoir repris le contrôle de ses musiciens et l’alliance se fait enfin entre eux et la chanteuse. On applaudit ainsi une très belle « Zaïde » de Berlioz et le « Por qué se oprime el alma ? » de Barbieri, où Julie Fuchs se fait sérieuse, intense : pas de démonstration vocale, juste du sentiment.
L’extrait du Comte Ory qui vient clore le programme, « En proie à la tristesse », lui permet de démontrer une fois encore ses talents de comédienne. Certes le suraigu est mal assuré, mais c’est finement joué et chanté : drôle sans affectation, virtuose sans exagération, et intelligemment construit en dialogue avec l’orchestre.
En bis, Fiorilla du Turc en Italie finit de convaincre (s’il en était encore besoin) ; et, plus surprenant, une berceuse islandaise chantée dans le noir complet, soutenue seulement par le chœur bouche fermée des musiciens, referme la soirée avec une grâce bienvenue.
Si le récital a connu une première partie un peu décevante, il a malgré tout permis à Julie Fuchs de s’affirmer dans le répertoire belcantiste : avec un medium chaleureux, un sens de la ligne, une vocalisation rapide et précise et, surtout, une musicalité qui sert l’incarnation des personnages.
Dommage que l’orchestre n’ait pas été aussi convaincant et l’ait un peu desservie ; car en s’emparant de ces jeunes héroïnes – la Bohémienne, Clorinda, Marie, Adèle… –, en jouant les « mademoiselle », la soprano montre qu’elle a tout d’une grande dame.