La complicité qui unit Karine Deshayes et Delphine Haidan ne date pas d’hier, les deux cantatrices travaillent ensemble depuis de nombreuses années et ont même enregistré avant le confinement, un récital de mélodies sous le label Klarthe, intitulé Deux mezzos sinon rien dans la foulée d’une série de concerts communs.
Les voici de retour sur scène sous l’égide du Palazetto Bru Zane, accompagnées par l’Orchestre National d’Avignon-Provence et sa directrice musicale Debora Waldman, d’abord en Avignon puis à Paris, dans la grande salle de la Philharmonie. Cette fois, les deux chanteuses et leur cheffe ont concocté un programme majoritairement centré sur l’opéra qui fait la part belle au bel canto italien, Rossini notamment, et à l’opéra français. A côté de Gluck et Berlioz, les trois musiciennes ont mis à l’honneur trois compositrices du dix-neuvième siècle à travers des pages peu connues, voire inédites qui constituent pour certaines une véritable révélation.
La soirée débute avec l’ouverture de l’Otello de Rossini que Waldman dirige avec précision et une belle énergie mais presque toujours en force alors que davantage de contrastes auraient été bienvenus. Puis, sous les applaudissements du public, les cantatrices entrent en scène vêtues de robes élégantes, rouge vermillon pour Delphine Haidan et noire pour Karine Deshayes. Leur duo de La donna del lago montre à quel point leurs voix sont parfaitement assortie, celle de Deshayes, ronde, lumineuse est remarquablement projetée tandis que celle de sa partenaire, plus sombre sonne avec moins d’éclat. Dans l’extrait de l’opéra de Pauline Viardot, Le Dernier Sorcier, une heureuse découverte au demeurant, sa voix peine à se faire entendre tant l’orchestration est pléthorique. Delphine Haidan tire davantage son épingle du jeu dans une mélodie russe de la compositrice française, sur un poème de Pouchkine, Les Monts de Géorgie, qui sollicite essentiellement le haut de sa tessiture. Entre ces deux pages Karine Deshayes aura livré un superbe air d’Orphée « Amour, viens rendre à mon âme » qui lui aura valu une belle ovation de la part du public. Avec une agilité confondante, elle se joue de toutes les difficultés de cette page et aborde en grande technicienne, les vocalises, les trilles et autres ornementations qu’elle exécute sans la moindre difficulté apparente. Après quoi l’enthousiasme retombe, le duo des Troyens qui conclut la première partie s’étire irrémédiablement en longueur.
La seconde partie en revanche apporte davantage de satisfaction, elle s’ouvre avec l’ouverture du Fausto de Louise Bertin, une page symphonique étonnante dont la musique tourmentée, par moment inquiétante, n’est pas sans évoquer le Meyerbeer de Robert le diable. Le duo de l’Elisabetta rossinienne nous montre les deux cantatrices à leur meilleur, en revanche dans celui de Semiramide, beaucoup plus dramatique, Delphine Haidan semble à plusieurs reprises en retrait face à Karine Deshayes, souveraine. Heureusement son interprétation de « J’ai perdu mon Eurydice » tout en émotion contenue met en valeur son legato et lui vaut des applaudissements mérités. De son côté, Karine Deshayes nous aura régalé avec un superbe « Qui la voce » dans la version dite de Malibran. Sa ligne de chant élégante et nuancée épouse idéalement les contours délicats de la cantilène bellinienne. La cabalette, enlevée et brillante se situe sur les mêmes hauteurs.
A la tête de son orchestre, Débora Waldman offre une direction intègre, parfois inégale, mais toujours soignée et au service de ses interprètes. Nous lui saurons gré de nous avoir offert de belles pages symphoniques qui sortent des sentiers battus, l’ouverture du Fausto de Louise Bertin que nous avons évoquée plus haut et le prélude de l’acte 3 de Mazeppa de Clémence de Grandval suivi de sa danse ukrainienne, un hommage discret à ce pays en guerre.
En bis, le boléro en espagnol pour deux voix de Camille Saint-Saens, El Desdichado avec son rythme entêtant et son accompagnement de castagnettes ravit les spectateurs. La barcarolle des Contes d’Hoffmann, irréprochable, conclut la soirée en beauté.