Conçu comme un voyage dans les musiques inspirées par les traditions juives ou tziganes, principalement de source Mitteleuropa, le programme concocté par l’ensemble Contraste, intitulé en anglais Europa – a prayer, convient sans doute fort bien pour un enregistrement, et vise principalement un but de découvertes. Présenté en concert, saucissonné en tranches courtes, il présente plusieurs inconvénients, dont celui d’incessants changements de plateau (une douzaine en 90 minutes de concert…), le manque d’une vraie pièce de résistance, la plupart des œuvres étant survolées sous forme d’extraits, choisies on ne sait trop comment ni pourquoi, et une cohérence ou au moins une construction dramatique. Alors que le propos du spectacle pouvait être vu comme un hommage aux souffrances du peuple juif, une prière rédemptrice, le résultat final est tout autre et vire au simple divertissement. Visuellement, la scène est encombrée d’une forêt de micros, de pupitres et de chaises ; le pianiste joue courageusement les Monsieur Loyal et vient présenter chaque séquence en cherchant à établir une complicité avec le public, pendant que deux techniciens s’affairent à déplacer le matériel, ce qui renforce encore l’impression d’un grand Barnum.
Si on ajoute à cela le fait qu’une fois de plus Karine Deshayes chante tout son répertoire (limité ici à sept mélodies !) le nez dans la partition, y compris les œuvres qui font partie depuis longtemps de son fonds de commerce, on comprendra aisément que la soirée, pour divertissante qu’elle fut, manqua singulièrement d’intensité et de cohérence. C’est une occasion manquée, dans la mesure où les musiciens s’adressaient à un public très attentif et cultivé, celui des récitals de la Monnaie, habitué à des nourritures intellectuelles et émotionnelles plus substantielles.
L’ensemble Contraste, qu’on pourrait présenter comme un quatuor à cordes élargi avec une clarinette et un piano n’a, en dehors de sa composition, rien d’un quatuor. On n’y entend guère de travail de musique de chambre, et si certains instruments font preuve d’une belle virtuosité – notamment la clarinette de Jean-Luc Votano -, le reste du travail présenté fait figure d’une habile mise en place par des musiciens chevronnés plutôt que l’aboutissement d’un réel investissement musical.
Alors que c’est Karine Deshayes qui sur l’affiche semblait être l’attraction de la soirée, ce sont les trois pièces pour violoncelle et piano d’Ernest Bloch qui en constituèrent le point culminant, seule œuvre complète du programme, donnée avec sobriété et recueillement et une très belle sonorité à l’instrument, tenu par Antoine Pierlot.
La prestation de la mezzo, émaillée de très beaux moments vocaux – la qualité de la voix, particulièrement bien servie par l’acoustique de la Monnaie, reste magnifique – fut plutôt décevante sur le plan de la communication avec le public et de l’intensité dramatique, pour toutes les raisons qu’on a expliquées plus haut.