Il y avait deux spectacles en un mardi à l’Opéra de Vichy : d’une part celui de Stefano Montanari à la tête de l’ensemble I Bollenti Spiriti, émanation de l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon et d’autre part celui du contre-ténor Lawrence Zazzo. Initialement les deux ne devaient faire qu’un, du moins au vu du programme composé de pages lyriques de Haendel, Porpora, Bononcini, et de pièces instrumentales de Geminiani et Maddalena Lombardini. Le programme est censé illustrer la rivalité entre le père du Messie et ses rivaux italiens venus le contester sur son pré-carré britannique. Si Lawrence Zazzo a paru réconcilier tout le monde par la seule grâce de son talent, Montanari a semblé ne pas vouloir être en reste et a affirmé sa présence, violon en main, à travers une direction généreusement extravertie.
Il n’a pas été avare en extravagances gesticulatoires et effets de manches incongrus dans le Concerto grosso en ré mineur La Follia de Geminiani ponctué de surprenants et trépignants zapateados. Le chef italien décidément pas disposé à se laisser voler la vedette a multiplié les cabotinages. Ses interventions tant solistes qu’en accompagnement l’ont été trop souvent au détriment de la partition et de la cohésion de l’œuvre. Mais basta, soyons bon public au diapason de la salle et créditons sa prestation d’une énergie contagieuse qui ont fait oublier ses interventions désordonnées et sa gestique peu irriguée par une inspiration authentiquement réfléchie. Il s’est reposé sur des pupitres certes très aguerris mais qui ne n’en nécessitent pas moins un contrôle rigoureux.
On épargnera au chef italien ce mauvais procès d’avoir voulu à tout prix se mesurer au contre-ténor faute de pouvoir prétendre l’égaler.
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La voix est demeurée la grande triomphatrice de la soirée. Dans « Cosi stanco pellegrino » l’air de Crispo de Bononcini, Zazzo se distingue par l’élégance assumée de l’expression et la sensibilité de la ligne mélodique dont il ne force à aucun moment la conduite naturelle. La qualité de l’émission lui assure une parfaite gestion du phrasé rendant superflu tout recours à des démonstrations de forces inappropriées souvent entendues dans ce type de répertoire. Il ne cède à aucun instant à de vaines complaisances décoratives. Il accompagne son chant d’une présence tragédienne aux multiples visages, tantôt grimaçants, puis menaçants et enfin implorants. Une théâtralité musicienne intelligente, au diapason de jeux de physionomie extrêmement mobiles : Lawrence Zazzo parvient à la complexe alchimie du temps long de l’expression dramatique au temps court musical chez Haendel.
Les aigus, portés par un style d’une exemplaire probité et une technique bien conduite, sont soutenus avec une réjouissante assurance et une désarmante stabilité. Comment oublier ce « Vaghe pupille » d’anthologie ? « Che sordo al vostro incanto » surgit avec la puissance d’une révélation, avec la violence d’une invocation possédée. Il y a de la folie en cet instant précis chez Orlando et le contre-ténor l’a fort bien compris et par-dessus tout traduit au superlatif.
La souplesse d’intonation de son « Già per la man d’Orlando » n’égale que sa précision et sa virtuosité finement contrôlée dans cette page qu’il articule autour d’une émouvante poétique. On apprécie cet imparable équilibre du timbre entre pudeur et souci du détail dans le très redouté « Alto Giove » de Porpora. Zazzo fait plus qu’en respecter l’enivrante structure harmonique et rythmique : il lui confère une gravité faite de légèreté, une tension toute en retenue.
Pas davantage de complaisance pyrotechnique dans l’air de Bertarido « Vivi, tiranno » qu’il aborde sous un angle émotionnel revisité. Lawrence Zazzo y déploie des trésors de vaillance et d’héroïsme. Ses aigus libèrent une impétuosité et une longueur de souffle qui ne prennent nullement l’ascendant sur la compréhension du texte.
Conclure sur l’air tiré de The Choice of Hercules, « Yet, can I hear that dulcet lay » ? Une autre façon de nous dire que la passion peut s’éprendre d’une clarté solaire.