Après un beau CD, Romances d’Empire, paru en octobre 2022 sous le label Château de Versailles Spectacles, voici la tournée mais avec un programme sensiblement modifié quoique encore principalement consacré à la compositrice Sophie Gail. A l’origine de cette notable redécouverte, la soprano Maïlys de Villoutreys et la harpiste Clara Izambert-Jarry poursuivent leur tour d’Europe et se sont posées le temps d’un joli récital dans l’écrin du petit théâtre du Musée Grévin.
Sophie Gail mena donc à l’époque du Directoire et de l’Empire une brillante carrière de cantatrice, pianiste et compositrice d’opéras et de romances, lesquelles formes lyriques connurent leur apogée à la même époque. Femme libre (divorcée) devant gagner sa vie, la jeune femme voyage avec ses compositions en Europe. Elle publie ses premières romances en 1790 et rapidement ces courtes pièces exaltant en vers et en strophes divers sentiments sont reprises dans tous les salons à la mode et particuliers.
A la place du piano initial s’impose facilement la harpe historique (du facteur George Blaicher) diligente ou aérienne de Clara Izambert-Jarry accompagnant (en révélant leurs arrière-plans atmosphériques) les mélodies interprétées par la délicieuse Maïlys de Villoutreys, au timbre à la fois cendré et cristallin, sans défaut. Calibrant selon les airs le flux sonore, elle charme par son chant virtuose aux lignes pures, aux effets dynamiques subtils pour exprimer la fièvre de l’amoureuse (« L’attente »), la mélancolie de la femme mûre qui n’a plus droit qu’à l’amitié (« Je sais bien que la jeunesse ») ou la sensibilité romantique de la femme déçue par son destin (« Il faut mourir »). L’agilité est toujours au rendez-vous (quoique parfois certains mots nous aient échappé) dans le marivaudage (« Mon cher Frontin ») comme dans l’espagnolade (« Bolleros »).
Dans ce programme sont intercalés des lieder de Mozart et Schubert, dont l’esthétique germanique se marie ici très simplement au goût français. Le public a la joie de réentendre entre autres, le plutôt rare lied de la Marguerite au rouet (« Gretchen am Spinrade ») schubertienne au phrasé ici toujours impeccable et l’émouvant « An die Musik » plus connu.
En mozartienne accomplie, la soprano nous offre aussi un superbe air de Barberine (en français). La panique argentine de la jeune fille déplorant peut-être sa virginité perdue est finement rendue. La brillante vocalité de Maïlys de Villoutreys rend tout à fait justice aux pièces choisies, que l’intimité du duo avec la harpe hisse aux cimes de la sensualité et du sentiment noble.
Dans les intermèdes purement instrumentaux dédiés à la harpe, chacun peut secrètement applaudir au jeu superlatif, coloré et stylé de Clara Izambert-Jarry. Cette disciple de Marielle Nordmann et fondatrice du Trio Dauphine ravit aussi quand elle accompagne au chant la soprano pour le bis, un beau nocturne de Sophie Gail, « La Nuit » – une compositrice décidément remarquable, magnifiquement défendue par les deux artistes.