C’est à un chant d’amour que nous a conviés Marina Rebeka ce soir-là à Toulouse. L’amour, au cœur des dix-neuf pièces au programme de son récital bien sûr, mais aussi et peut-être surtout le chant comme échange complice et quasi amoureux entre le public et celle qui fit les beaux jours du Capitole naguère. Le tweet délicieux que délivra Marina Rebeka après sa prestation redit du reste les liens qui sont désormais les siens avec un public qui ne demandait qu’à être conquis. Il faut dire qu’elle garde un souvenir ému de Toulouse qui l’a vue triompher l’an passé dans une production de Norma remarquée. Ce soir, Marina Rebeka, qui donne sans compter, nous offre en quelque sorte un récital en trois parties : d’abord des mélodies italiennes puis, après la pause, des mélodies russes ; voilà pour le programme officiel. Et puis, avec une générosité qui semblait ne connaître aucune limite, quatre bis conséquents, qui ont parachevé une belle soirée de musique. Nous saurons gré à Marina Rebeka d’avoir partagé avec nous un répertoire où on l’entend rarement : des mélodies plutôt intimistes pour lesquelles sa voix doit souvent se contraindre à la modestie (« Ave Maria »), voire la simplicité (« Pioggia » de Respighi). Ce qui est un réel exercice pour elle, qui y met tout son enthousiasme et une application qui forcent l’admiration.
Dans sa première partie elle choisit de nous faire découvrir des poèmes d’amour de d’Annunzio et de Negri, mis en musique par Tosti et Respighi. C’est un amour incandescent qu’elle transcrit, l’amour que seul le chant peut incarner ; la profondeur du médium, la densité du grave illustrent si bien la vanité de la vision ou de l’espérance. Les trois Verdi de l’entrée nous auront du coup moins convaincu, à moins qu’ils aient été de simples mises en bouche.
Après la pause, Marina Rebeka nous revient, plus flamboyante ; elle a troqué une sage robe blanche de grande prêtresse (clin d’œil à sa Norma toulousaine ? ) contre un fourreau doré aux paillettes scintillantes. Et ce répertoire russe, si peu connu, si peu donné ( trois mélodies enivrantes de César Cui) qu’elle nous révèle avec un naturel et, du coup, une familiarité, qui nous comblent. La voilà libérée (de la contrainte linguistique peut-être ?) et qui enchaîne les atmosphères avec comme point commun l’amour toujours mais aussi l’incandescence, la lascivité même (« Je me rappelle le soir ») où la comédienne, la tragédienne, pointe sous la récitaliste. Et puis le rythme s’accélère, et la communion se fait et le charme opère. Portée par un Mathieu Pordoy de gala, qui se libère lui aussi au fil de la soirée, elle enivre le public de ces ambiances amoureuses. Et nous avons soudain envie que tout cela ne finisse pas, que les tableaux se succèdent à l’infini : sont alors convoqués Pouchkine, Zhandr, Nemirovich, Apukhtin ou Sologub qui disent à Marina de nous offrir toute la richesse de sa palette vocale et émotionnelle. Tout n’est pas parfait, ici ou là, un trait se distend, un legato nous manque, mais qu’importe, le drame est vécu et rendu en direct. Quelle implication !
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Nous parlions de troisième partie : c’est que les bis, qu’ils soient prévus ou obtenus à force d’ovations du public, ont constitué sans doute le vrai défi vocal de la soirée : quatre pièces maîtresses du répertoire de la lettone et qui ont contribué à sa renommée. Elle commence par un « Un bel dì, vedremo » arraché des entrailles. Puis, transporte son public un an en arrière avec un « Casta diva » qui nous rappelle toute la difficulté technique de la pièce. Qu’importe, puisque l’émotion est intacte. Christophe Ghristi, le directeur du Capitole, vient alors lui offrir à genoux (!) le bouquet du marié. On se dit que tout est fini. Mais non, vient encore « Ebben ? Ne andrò lontana » extrait de La Wally de Catalani dont Rebeka nous offre une vision pour ainsi dire extatique. Le public, debout depuis longtemps, réclame une ultime preuve d’amour que Marina lui offre avec une prodigalité confondante. Ce sera pour conclure le « Mercé, dilette amiche » des Vespri Siciliani, emmené tambour battant.
Difficile après cela de rejoindre l’ambiance crépusculaire d’une soirée d’avant couvre-feu.