Nuit d’ivresse. Était-ce au Carlos, un des spots de Biarritz, plage des Basques, où les surfeurs vident des chopes face au coucher du soleil après avoir taquiné la vague ? Dans un trinquet du Port-Vieux ? Au Bar Jean près des Halles ? Ou plus haut, au-delà du phare, sur la route d’Anglet, au Kostaldea, en surplomb de l’océan ? Marina Viotti ne se souvient pas. Jeux de regard, un verre, deux, trois… La nuit s’étire, les mains se frôlent, puis les lèvres… Rideau. Ce n’est pas la rencontre mais son lendemain – « About last night » – que raconte la mezzo-soprano au Biarritz Piano Festival, lorsque les corps épuisés se détachent et que les cœurs s’interrogent. La narration épouse les contours d’un programme hétéroclite qui brasse les langues – français, anglais, italien…– et les répertoires – mélodies, opéra, variété… – indifféremment.
Une brève prise de parole entre chaque numéro tente de tisser le fil narratif. Non sans mal. Les coutures semblent parfois épaisses. L’enchaînement du « Paon » de Ravel avec « Dos Gardenias », une chanson érigée en tube par le Buena Vista Social Club, n’est pas si évident. La voix, mieux que les mots, crée le lien. Voix dont on connaît les sortilèges pour l’avoir goûtée à plusieurs reprises ces dernières saisons, onctueuse comme le chocolat chaud que sert Cazenave sous les Arceaux à Bayonne, ou s’il faut continuer de filer la métaphore locale, charnue et longue à la manière d’un vin rouge d’Irouléguy, d’une teinte profonde tirant sur le pourpre et le grenat. Voix égale sans distorsion aux extrémités de la tessiture – l’aigu ne semble jamais tiré, le grave écrasé. Voix caméléon, à l’aise dans tous les styles, le music-hall autant que l’opéra, « Cry me a river » autant que « mon cœur s’ouvre à ta voix », deux des sommets de la soirée, l’un et l’autre à fleur de peau, sensibles, ensorcelants.
Marina Viotti © Polina Jourdain-Kobycheva
D’agilité, il sera peu question. Seul le rondo de Cenerentola, en bis, rappelle la maîtrise technique, l’apparente facilité avec laquelle la gamme est parcourue de haut en bas – et inversement –, l’intensité variée, le trille battu. Comme précédemment, la musicalité dans ce numéro virtuose, orné et varié à l’envi, demeure éblouissante. Séduit aussi l’art de l’interprétation, la manière de raconter, non les mésaventures d’une jeune femme en jetlag amoureux un lendemain de cuite, mais l’histoire recelée par chacune des pages chantées. « Johnny », par exemple, une mélodie de Britten que l’on dirait composée par Weill, où la narratrice tente de séduire un homme dont elle n’est pas le genre.
S’il faut émettre des réserves, elles porteront sur la prononciation, en mal de clarté, chez Satie et Ravel d’abord, alors que les couplets de la Périchole s’avèrent d’une limpidité réjouissante et d’une justesse de ton acquise au contact de la scène – on se souvient des représentations triomphales de l’œuvre de Jacques Offenbach au Théâtre des Champs-Elysees en 2022.
Vite, s’installe un climat de complicité, à porter aussi au crédit de Marina Viotti – une attitude, une simplicité, qui engendrent naturellement sympathie et proximité. Complicité avec Todd Camburn, son partenaire depuis de longue année, passant lui aussi avec une facilité déconcertante d’un répertoire à l’autre ; complicité avec la salle, rapidement conquise. Les applaudissements fusent. Des spectateurs, pris plus ou moins au hasard, sont invités à monter sur scène. Mary Feminear prête le concours de son soprano flûté au duo de Cosi. C’est en chœur que le public entonne finalement « Padam » avant de se lever pour ovationner la chanteuse, encourageant ainsi le Biarritz Piano Festival à renouveler les incartades vocales dans ses prochaines éditions .