L’agenda de Marina Viotti est si rempli que trouver une date et une heure pour le concert annoncé à Bad Wildbad n’a pas été chose aisée. Enfin il a eu lieu. L’intitulé «Porque existe otro querer» dissipe les espoirs : celle que l’on a découverte ici comme future grande rossinienne fait halte et propose le contenu du disque paru en avril. Ce titre, Parce qu’il existe un autre amour, garde une aura de mystère : à quoi fait-il allusion ? Le concert, sauf incompréhension ou inattention de notre part, ne répondra pas. Tout au plus nous a-t-il semblé, d’après le programme et les propos de Marina Viotti, que l’alliage harmonieux de diverses formes d’art constituait la démonstration qu’il était possible de s’ouvrir aux différences, autrement dit d’accepter et mieux encore d’aimer la diversité des autres. Qui ne souscrirait ?
Mais pour sympathiques que soient ces a priori, ce que le public attendait, c’était un récital de la chanteuse dont le talent, la renommée et le succès n’ont cessé de grandir depuis ses débuts à l’Académie du Festival. Nous ne pensons pas trahir le sentiment commun de frustration à l’issue du concert, car le programme proposé n’a pas assouvi les attentes de ceux qui espéraient être comblés par une voix ayant désormais atteint sa plénitude dans des airs d’opéra de Rossini, sous les auspices duquel est placé le festival et dont elle fut in loco l’ Isabella.
« Au plaisir de Marina » nous aurait donc semblé un titre plus pertinent, car il est évident que la juxtaposition de ces œuvres, si elle vise à dépasser la distinction entre musique « savante » et musique « populaire », a relevé de la personnalité de la chanteuse, tout comme le choix de son accompagnateur. Le guitariste Gabriel Bianco joue en maître de son instrument, comme il le démontrera à l’envie dans un pot-pourri de thèmes empruntés à divers opéras de Rossini, un long solo destiné à remplacer la Gnossienne n° 1 d’ Éric Satie annoncée dans le programme. On n’a pu s’empêcher pourtant de regretter le piano dans les trois chansons de Gabriel Fauré.
Que retenir de ce concert ? L’empreinte la plus forte, ce sont les chansons de Manuel de Falla qui nous l’on fait ressentir, l’accord entre la ferveur de l’interprète et l’œuvre, texte et musique, s’imposant immédiatement. Pour le reste, faut-il entrer dans le détail pour expliquer nos réserves ? Elles ne portent pas sur les aspects techniques de l’interprétation, aucune des œuvres n’exigeant de performance virtuose. Simplement, tout en reconnaissant la sincérité de l’interprète, qui prend sans doute à cœur ce qu’elle chante, nous avons eu le sentiment d’assister à un show où Marina Viotti nous dit : voici que je j’aime, aimez-moi comme je suis. Certes, on vous aime, Marina Viotti, mais pas parce que vous aimez chanter Barbara ou Jacques Brel, on vous aime parce qu’à travers une formation patiente et difficile vous avez atteint le haut degré de technicité nécessaire pour nous donner accès aux délices de l’opéra. Sans doute cette maîtrise technique ne suffirait-elle pas si elle n’était mise au service de la sensibilité. La vôtre est profonde, et vous fait vibrer aux œuvres que vous avez sélectionnées. Mais ce dévoilement de vos goûts, pour sympathique et émouvant qu’il soit, n’a pas comblé notre faim.