Précédée de sa réputation d’artiste lyrique de l’année aux Victoires de la musique classique 2023, la mezzo-soprano Marina Viotti était attendue avec impatience à Lyon, ville qui fut la sienne pendant quelques années. C’est peu de dire que le charme, ici comme ailleurs, a opéré, en osmose parfaite avec le Cercle de l’Harmonie dirigé par Jérémie Rhorer. Sans artifice ni effets spectaculaires, le récital donne à entendre une palette de nuances dont la subtilité n’a d’égale que la sobriété. D’emblée, l’Ouverture des Noces de Figaro, d’une précision absolue, privilégie la finesse aux dépens de l’étalage. On peut en dire autant de Marina Viotti qui confère au « Voi che sapete » une manière d’évidence qui ravit, mettant son timbre chaleureux et la clarté de sa voix au service d’une diction exemplaire et d’un lyrisme sincère.
Et pourtant la cantatrice n’hésite pas, après ce premier air, à se saisir d’un micro pour s’adresser au public, rompant avec l’illusion théâtrale – et la tradition des récitals – pour commenter ce qui a été interprété et annoncer la suite du programme. En ce 13 février, la soirée se veut prélude à la Saint-Valentin. Pour célébrer l’amour, l’éventail des affects opératiques et musicaux est convoqué, la diversité des genres aussi, dans tous les sens du terme puisqu’aux personnages masculins (Cherubino donc, dont Marina Viotti dit qu’il sera « le seul amour innocent » de la soirée, puis Orphée déplorant la perte de son Eurydice – deux airs célébrissimes du répertoire) succède Alceste, la reine de Thessalie dans l’opéra de Gluck auquel elle donne son nom. Rappelons qu’elle se sacrifie pour sauver son époux Admète et, parvenue aux Enfers, refuse d’implorer la pitié des « Divinités du Styx » – c’est l’occasion pour Marina Viotti de donner à entendre toute la puissance de sa voix dans les inflexions triomphales de cet air. Immédiatement avant, la « Danse des furies » dirigée avec fougue par Jérémie Rhorer exprime la fureur annoncée dans l’intitulé du récital Amor Furor. Marina Viotti commente le courage d’Alceste avec des mots d’aujourd’hui : « Même pas peur ».
On sait combien le projet de rendre la musique et l’opéra accessibles au plus grand nombre est un objectif commun au Cercle de l’Harmonie et à la cantatrice suisse, qui nous dit ce soir être « à moitié lyonnaise ». Savoir rendre simple ce qui est complexe, commenter avec naturel les œuvres les plus raffinées, parler au public de l’Auditorium de Lyon (jauge de plus de 2000 places) quasi plein comme s’il s’agissait de quelques amis réunis chez soi, ce sont des talents qui s’ajoutent à l’art du chant. Mais sans préjudice du jeu dramatique : vêtue d’une longue veste rouge cintrée sur pantalon de cuir noir et chaussées de bottes dans la première partie (rôles travestis obligent !), Marina Viotti réapparaît après l’entracte en robe violette orientalisante avec ceinture-cordelette et des chaussures ouvertes à hauts talons, cothurnes propices à une démarche chaloupée. Elle sera ainsi, comme elle l’annonce au public dans un nouveau propos explicatif, la séductrice Dalila, puis Carmen, avant d’interpréter l’air de Léonore dans La Favorite, qu’elle qualifie de véritable « ascenseur émotionnel ». Cette deuxième partie du concert permettra aussi d’entendre, entre l’Ouverture du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn, d’une rare délicatesse, et la Scène d’amour du Roméo et Juliette de Berlioz, une interprétation très maîtrisée de la Méditation de Thaïs.
Marina Viotti passe avec aisance de Carmen à Leonore, de Bizet à Donizetti, son mezzo est riche, puissant et agile, s’envolant avec une facilité déconcertante dans les aigus et descendant avec une présence impressionnante dans les graves. Elle sait donner l’illusion de la facilité tout en communiquant une authentique émotion : c’est le cas notamment dans « Mon cœur s’ouvre à ta voix » (Saint-Saëns), superbement interprété, et dans l’air « Non piu mesta » de La Cenerentola de Rossini – opéra dans lequel elle a triomphé en octobre dernier à Paris –, et qu’elle a préparé comme « une surprise » pour un bis qu’elle a voulu (« parce que demain c’est tout de même la Saint-Valentin ») plus optimiste que la fin tragique de La Favorite. Ou comment rappeler que l’opéra peut aussi être (loin de la « défaite des femmes » selon le titre de l’ouvrage de Catherine Clément en 1979) le « triomphe de la bonté » et de l’amour, et qu’en tout cas ce doit être un lieu de partage.