Près d’un an après sa sortie en disque, on découvrait enfin ce soir sur scène cet hommage à Pauline Viardot, dans le cadre du Festival Berlioz de La Côte-Saint-André. Après plusieurs jours de montée des températures, canicule et affaire Gardiner obligent, c’est dans une atmosphère plus tempérée et avec un invité surprise (un oiseau virevoltant au-dessus de la scène, probablement charmé par le chant d’Orphée), que ce récital s’est tenu. Comme pour l’album, le programme du concert était intégralement conçu autour d’airs qui furent créés, chantés ou inspirés par la cantatrice et sœur de Maria Malibran.
Dès son entrée sur scène, avec un « Amour, viens rendre à mon âme » (extrait d’Orphée et Eurydice dans sa version berliozienne) magistral jusque dans son incroyable cadence, suivi d’un virtuosissime « Bel raggio lusinghier » de Semiramide, Marina Viotti annonce la couleur : ce sera du très haut niveau. On sent pourtant la mezzo soprano encore quelque peu sur la réserve, et c’est avec « Ô mon Fernand… Venez cruels », extrait de La Favorite, que Marina Viotti lâchera tout. La seconde partie du concert, dans laquelle elle se payera le luxe d’enchaîner les rôles de Didon, Marie-Magdeleine et Sapho (avant deux bis !) sera alors un irrésistible crescendo.
La prestation vocale de Marina Viotti laisse ce soir en effet pantois. Elle est aussi superbe dans la déclamation de la tragédie lyrique (« Je vais mourir … » de Didon à glacer le sang) que dans le bel canto rossinien. On retient en particulier pour ce dernier ses belles variations dans le grave, bien plus appropriés que les insupportables roucoulades dans l’aigu trop souvent entendues dans ce répertoire. L’assurance du grave et la clarté du médium lui permettent d’asseoir sa ligne vocale, qu’un aigu facile (quelle fin de « Ô ma lyre immortelle » extrait de Sapho !) achève de compléter. Un legato rond et crémeux enveloppe le tout, sans pour autant que la diction – précise du début jusqu’à la fin – n’en souffre. Il y a enfin cette présence scénique unique : Marina Viotti entre dans chacun de ses personnages en un éclair. Elle est pétillante en Rosina, majestueuse en Didon, bouleversante en Marie-Magdeleine. Si l’on ne saura jamais à quoi ressemblait la voix de Pauline Viardot, on a l’impression que les mots de Camille Saint-Saëns à son égard conviendraient à Marina Viotti : « Rien ne lui était étranger, elle était partout chez elle ».
Quant à Christophe Rousset, après une intégrale mémorable des Symphonies de Schubert au Théâtre du Châtelet en début d’année ainsi que la parution d’une Vestale de référence, il confirme une fois de plus son affinité avec le répertoire romantique. Il y apporte un équilibre parfait : clarté et lisibilité des parties intermédiaires (merveilleuses parties d’altos dans Les Troyens ou Sapho), mordant (ouverture de La Favorite), rapidité sans précipitation (ouverture de Semiramide). Les instruments anciens des Talens Lyriques, aux couleurs éclatantes (quels cuivres !), se marient idéalement à la voix chaude de Marina Viotti. Les cordes, emmenées par la première violon de Gilone Gaubert, sont virtuoses à souhait et bâtissent un idéal tapis sonore dans les récitatifs accompagnés. Parmi les solistes, on retiendra les superbes lignes de la flûte de Jocelyn Daubigney dans le Ballet des Ombres heureuses de Gluck, le piccolo virevoltant de Gabrielle Rubio dans Semiramide ou encore les belles couleurs de la harpe de Virginie Tarrête dans Sapho.
Ce récital mémorable, qui s’inscrit parfaitement dans le cadre de la programmation du Festival, est accueilli triomphalement par le public. Un public qui, comme nous, espère bien revoir Marina Viotti dans ce répertoire, et notamment dans Berlioz : Cassandre ou Marguerite lui tendent les bras !