Entre ses deux dernières Isolde scéniques à Palerme, Nina Stemme revenait le temps d’un récital wagnérien au Teatro Real de Madrid. La Mort d’Isolde et l’Immolation de Brünnhilde constituaient les deux scènes de ce concert complété par le prélude de Tristan und Isolde, différentes pages du Götterdämmerung liées en une forme de suite et la rarement donnée Das Liebesmahl der Apostel (La Cène des Apôtres) du même Wagner.
Composé en 1843 pour la Pentecôte alors qu’il est à Dresde peu de temps après la première couronnée de succès de Rienzi, cette œuvre pour chœur d’hommes laisse deviner ce que seront les grands chœurs de Lohengrin et Tannhäuser, notamment dans toute la première partie a cappella. L’entrée de l’orchestre en forme de gradation constante vers l’exultation finale ne s’avère pas particulièrement convaincante, l’orchestration et ses effets restant sommaires, loin des miracles futurs du Maître de Bayreuth. L’œuvre n’en demeure pas moins une gageure pour les chœurs. Ceux du Teatro Real jouissent d’une préparation exemplaire sous la houlette de José Luis Basso. Homogénéité et nombreuses nuances servent l’œuvre au mieux. C’est un triomphe qui les accueille à l’issue de l’exécution.
Le succès du récital tient aussi à la qualité de l’orchestre, habitué de Wagner dont il interprète concomitamment les Maitres Chanteurs de Nuremberg. Gustavo Gimenez, le futur directeur musical du Real, s’ingénie à équilibrer les masses – presque trop voudrait-on dire concernant les cordes – et à articuler les leitmotivs dans un grand geste classique qui s’en remet au génie de l’écriture de Wagner plutôt qu’à un discours spécifique. Dans le cadre d’un récital, cette option est bien préférable en ce qu’elle rend tout parfaitement lisible et sécurise les interprètes.
Dans cet environnement artistique propice et l’acoustique généreuse du Teatro Real, Nina Stemme couronne la soirée d’une voix sur laquelle les années ne semblent pas avoir d’emprise. Certes, le format du récital lui permet de maintenir la fraicheur du timbre et d’aborder aussi bien la Liebestod que le « Starke Scheite schichtet mir dort » sans endurer les deux longs opéras. Outre une technique que l’on ne décrit plus, ce qui frappe le plus c’est la transformation quasi physique de la soprano suédoise avant chaque scène. Ce soir son Isolde est rassérénée, comme enrichie de l’expérience de l’amour vécu avec Tristan, plutôt qu’exténuée et au bord de la mort. Nina Stemme sait interpréter les deux, nous l’avons vu en scène. Son choix ce soir-là trouve son sens avant une deuxième partie où c’est une Brünnhilde impériale et vengeresse qui commande le bucher et prononce le jugement des Dieux. Bien plus que Strauss, où l’on a pu la trouver en difficulté ces derniers mois, Wagner se coule dans sa gorge avec une aisance renouvelée : aucun écart, aucune attaque à l’aigu, lancée avec vigueur, ne lui résiste. En somme, c’est la quintessence de son art, forgé pendant plus de 30 ans de carrière, qu’elle offre aux spectateurs madrilènes. Généreuse, elle referme le récital dans le baume du dernier des Wesendonck Lieder, « Traüme », évocation de l’amoureuse qu’elle incarnera une dernière fois sur scène le mercredi 29 mai à Palerme.