La Philharmonie de Luxembourg fête cette année ses vingt ans dans le somptueux écrin de « vivants piliers » crée par Christian de Portzamparc. Plus de 500 événements chaque année, dont trois festivals, font vivre ses trois salles avec un important pôle jeune public pris d’assaut tous les week-ends au point qu’un nouveau lieu lui sera consacrée dès 2027. Des propositions originales complètent l’arsenal classique des médiations comme « yoga at the Phil » qui associe mini concert d’un soliste de l’orchestre avec un vrai cours postural !
Pour ses propositions plus classiques où se bousculent les têtes d’affiche, le lieu draine un public fidèle et nombreux qui dépasse les frontières du Grand-Duché puisque il propose des navettes pour Trêves en Allemagne et que nombre de belges et de français font partie des habitués. La salle de 1500 places est donc quasi pleine ce soir pour accueillir Nina Stemme et le Royal Stockholm Philharmonic Orchestra dans un somptueux programme donné la semaine passée en Suède, en Allemagne et qui partira ensuite en Autriche avant que la cantatrice ne revête les oripeaux de la glaçante Ortrude au Deutsche Oper de Berlin début avril.
Les Kindertotenlieder de Gustav Mahler sont l’occasion pour la chanteuse de déployer la palette subtile de son talent avec une remarquable élégance dès Nun will die Sonn’ so hell aufgehn. Les finales sont ciselées, le merveilleux timbre d’or sombre enchante bien que certains aigus semblent un peu circonspects. Oft denk’ ich, sie sind nur ausgegangen proposera la même retenue poignante.
La délicatesse déchirante avec laquelle la chanteuse pose le « O Augen » dans Nun seh’ ich wohl, warum so dunkle Flammen fait oublier la fragilité de certaines attaques tandis que son art proverbial de la narration s’épanouit pleinement avec le troisième Lied, Wenn dein Mütterlein. L’œil nuance les intentions en réponse au jeu de couleurs qui nimbe chaque couplet.
L’ultime Lied, In diesem Wetter, in diesem Braus, amplifie encore le phénomène avec des teintes charbonneuses où couvent toujours les braises du timbre.
Tout au long de ce parcours de deuil l’orchestre se met au service de la soliste, offrant un grand équilibre des pupitres, une retenue dans le volume et surtout une ligne limpide qui soulignent la pudeur de la proposition.

Le reste du programme permet à la pléthorique phalange suédoise de laisser éclater son art consommé de la nuance jusqu’au fortissimo comme dans l’Allegro con anima et plus encore dans l’Andante Cantabile de la Symphonie N° 5 de Piotr Ilitch Tchaïkovski. La sensualité de la pâte sonore régale l’oreille tout au long de la soirée sous la direction ample de Ryan Bancroft qui sait donner du souffle à son orchestre. La valse se fait presque mutine pour mieux imposer ensuite l’indéniable majesté – « molto maestoso » indique la partition – qui clôt l’œuvre.
Le concert avait débuté avec Liguria, une commande à l’orchestre de la radio suédoise d’une compositrice italienne ayant étudié à Stockholm, Andrea Tarrodi. Toute en évocation impressionniste et confortablement mélodique, la pièce est très réussie. Elle dessine une déambulation dans la péninsule italienne où la paix d’un jour d’été contraste avec le fracas des vagues une nuit de tempête.
Une belle occasion donc, de découvrir le Royal Stockholm Philharmonic Orchestra. Pour applaudir l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg dans ses murs sous la direction du Maestro Gustavo Gimeno – à sa tête depuis dix ans – il faut faire vite car il quittera ses fonctions en mai laissant la place à plusieurs chefs invités pour une année de transition avant que le tout jeune Martin Rajna – transfuge de Budapest et coup de foudre de l’orchestre il y a quelques mois – n’entre en fonction pour ouvrir une nouvelle ère.