Les récitals de mélodies et /ou de lieder sont désormais rares à Paris, alors qu’ils continuent à remplir les salles du monde anglo-saxon et germanique : voir le Wigmore Hall à Londres, où se produisent les plus grands et dont les concerts font l’objet d’une édition discographique, les liederabend à Vienne, Berlin, Munich, les soirées mémorables du Carnegie Hall et de l’Alice Tully Hall à New York et bien d’autres encore….
On ne peut donc que se réjouir d’une telle initiative de la part de l’Opéra Comique, qui répare un manque plutôt dommageable dans la vie musicale française, en l’occurrence parisienne. Il est vrai que la saison précédente, la grande Felicity Lott avait donné un fort joli récital dans cette même salle dont les dimensions sont idéales pour ce genre musical.
Depuis quelques années, on connaissait Karina Gauvin pour ses interprétations marquantes du répertoire lyrique baroque : une Alcina d’anthologie à Paris – Cité de la Musique (2003) – puis à Beaune, plusieurs concerts au TCE et à Gaveau, et bientôt, toujours au Théâtre des Champs Elysées, Ginevra dans un Ariodante très attendu où Joyce di Donato chantera le rôle-titre. On la connaissait moins dans l’exercice difficile, souvent périlleux et quelquefois même meurtrier pour certains chanteurs par ailleurs très à l’aise sur une scène d’opéra, du récital de mélodies (dont d’autres font leur terrain de prédilection).
Dans l’ensemble, force est de reconnaître que la soprano canadienne a démontré qu’elle pouvait s’y montrer aussi convaincante que dans l’opéra, ce qui n’est pas rien, surtout dans cette salle Favart tellement chargée d’histoire…Il y avait de quoi avoir le trac, et ce trac il était bien perceptible dans les mélodies de Haydn, chantées sans doute de manière un peu trop lyrique, voire un peu emphatique, alors que suffisent pour ces œuvres, sobriété et savant dosage des affects, plus de simplicité en somme. Cependant, dés Duparc, on sentit l’artiste plus à son aise, prête à prendre son envol. Ces mélodies somptueuses conviennent de manière presque idéale à son timbre charnu, pulpeux, moiré, chatoyant, qu’on a pu à ses débuts, en raison également de sa technique de vocalisation époustouflante, comparer à du vif argent. Au fil des années, il s’est paré de l’or de la maturité, ce qui le rend encore plus fascinant…Les mélodies de Bizet, si rarement données et pourtant tellement vocales, mirent en valeur l’humour de la cantatrice (« La Coccinelle ») et sa colorature accomplie (« Guitare »). D’ailleurs, avant de les chanter, elle s’adressa au public, pour dire à quel point elle et son pianiste étaient émus et honorés de se produire dans une salle aussi prestigieuse, où Carmen fût créée, et qu’ils avaient souhaité rendre hommage à Bizet à travers ces pages.
Autre compositeur à l’honneur de la soirée : Poulenc, à propos duquel Karina Gauvin s’adressa encore au public avant de le chanter, pour lui demander avec beaucoup de gentillesse de ne pas applaudir après chaque petite pièce « faisant partie d’un ensemble », et en profita pour dire à nouveau combien elle était contente de se trouver là… (ledit public avait, en l’occurrence, mis un point d’honneur à applaudir après chaque morceau pendant toute la première partie, ce qui démontre de manière éclatante à quel point les récitals de mélodies sont rares à Paris !)
Toutes les œuvres qui suivirent, aussi bien celles de Poulenc, que celles de Britten, Copland et Weill mirent en valeur les autres facettes de la personnalité de la soprano : raffinement, sensibilité, émotion, générosité, passion, en un mot un certain charisme, ce qui n’est pas si fréquent par les temps qui courent, où tant d’artistes plutôt talentueux sont souvent un peu trop « formatés ». Ajoutons que la diction de Gauvin est quasiment parfaite, aussi bien en anglais qu’en français, et que son pianiste, auquel elle a rendu hommage de manière chaleureuse et élégante, est excellent.
Un superbe programme donc, varié, équilibré, faisant la part belle au répertoire français, ce dont on ne se plaindra pas, auquel Karina Gauvin ajouta trois délicieux bis : « Love’s Philosophy » de Roger Quilter (compositeur que Felicity Lott a également interprété), « Les Chemins de l’Amour » de Poulenc et pour finir une bouleversante chanson du folklore écossais que la grande Loïs Marshall avait coutume de chanter…
En conclusion, bien belle soirée, qui nous donne envie d’entendre à nouveau cette artiste très bientôt et surtout, peut-être un jour, sur la scène de l’Opéra de Paris. Qui sait ….